Dois-je vraiment céder la maison à mon frère ? Une histoire de famille déchirante
« Tu ne comprends donc pas, Camille ? C’est ton frère, il a besoin de toi ! » La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tranchante, presque suppliante. Je serre le téléphone si fort que mes jointures blanchissent. Je suis assise sur le vieux canapé du salon, les yeux rivés sur la fenêtre, incapable de répondre. Dehors, la pluie martèle les pavés de la rue de Belleville, mais c’est à l’intérieur que la tempête fait rage.
Tout a commencé il y a trois jours. Un mardi soir ordinaire, jusqu’à ce que le nom de ma mère s’affiche sur l’écran. J’ai décroché, le cœur léger, pensant à une de ses anecdotes sur la voisine ou à une recette de gratin dauphinois. Mais sa voix était grave, presque étrangère. « Camille, il faut qu’on parle de ton frère. »
Mon frère, Julien. Deux ans de moins que moi, toujours le préféré, celui qui faisait rire tout le monde aux repas de famille. Mais depuis son divorce, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il a perdu son emploi, s’est éloigné de ses amis, et maintenant il risque de se retrouver à la rue. Ma mère, fidèle à elle-même, veut sauver son fils. Et pour cela, elle me demande l’impensable : céder mon appartement, mon refuge, à Julien.
« Mais maman, c’est chez moi ici ! J’ai travaillé dur pour l’avoir, tu le sais ! »
« Tu pourrais aller chez Paul, non ? Il a une grande maison à Montrouge… »
Paul, mon compagnon depuis cinq ans. Oui, il m’a déjà proposé d’emménager chez lui, mais j’ai toujours refusé. J’ai besoin de mon espace, de mon indépendance. Et puis, pourquoi devrais-je tout sacrifier pour Julien ?
La nuit suivante, je n’ai pas fermé l’œil. Les souvenirs d’enfance me sont revenus en rafale : les disputes pour la dernière part de tarte aux pommes, les courses dans le jardin de nos grands-parents, les larmes de Julien quand il s’est cassé le bras et que j’étais la seule à pouvoir le calmer. Mais aujourd’hui, c’est lui qui me fait pleurer.
Le lendemain, j’ai croisé Julien dans un café du quartier. Il avait l’air fatigué, les yeux cernés, la barbe de trois jours. Il a commandé un café noir, sans un mot. J’ai brisé le silence.
« Tu sais pourquoi maman m’a appelée ? »
Il a hoché la tête, sans me regarder.
« Et toi, tu en penses quoi ? »
Il a haussé les épaules. « Je ne veux pas te mettre dans l’embarras, Camille. Mais je n’ai plus rien. Je dors chez des amis, je me sens comme un parasite partout où je vais. »
J’ai senti la colère monter. « Et moi alors ? Tu crois que c’est facile pour moi ? On dirait que tout le monde oublie que j’ai aussi une vie ! »
Il a enfin levé les yeux vers moi, brillants de larmes. « Je suis désolé. Je ne sais plus quoi faire. »
Je suis rentrée chez moi, le cœur en miettes. Paul m’attendait, assis à la table de la cuisine. Il a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas.
« Ta mère t’a encore parlé de Julien ? »
J’ai hoché la tête. Il a soupiré. « Tu sais que tu n’es pas obligée d’accepter. Ce n’est pas à toi de réparer tout le monde. »
Mais si ce n’est pas moi, qui le fera ?
Les jours suivants, la pression s’est accentuée. Ma mère m’appelait tous les soirs, me racontant les malheurs de Julien, me rappelant combien la famille est importante. Mon père, d’habitude si discret, m’a envoyé un message : « Pense à ton frère. Il n’a pas ta force. » Même ma tante Sylvie s’y est mise : « Tu es la grande sœur, Camille. C’est ton rôle de veiller sur lui. »
Je me suis sentie piégée. Entre la culpabilité et la colère, je ne savais plus quoi penser. J’ai commencé à éviter les appels, à ignorer les messages. Paul essayait de me rassurer, mais je voyais bien qu’il s’inquiétait pour moi.
Un soir, alors que je rentrais du travail, j’ai trouvé Julien assis sur les marches de mon immeuble. Il avait l’air perdu, comme un enfant puni.
« Je voulais te voir, » a-t-il murmuré. « Je ne veux pas te voler ta vie, Camille. Mais je ne sais plus où aller. »
Je me suis assise à côté de lui. Le silence pesait entre nous.
« Tu sais, j’ai toujours cru que tu étais plus forte que moi, » a-t-il continué. « Mais peut-être que c’est injuste de te demander ça. Peut-être que je dois apprendre à me débrouiller seul. »
J’ai senti les larmes monter. « J’ai peur de te perdre, Julien. Mais j’ai aussi peur de me perdre moi-même si je cède. »
Il m’a pris la main. « Quoi que tu décides, je t’en voudrai pas. »
Cette nuit-là, j’ai pris une décision. J’ai appelé ma mère.
« Maman, je t’aime. Mais je ne peux pas tout sacrifier pour Julien. Je veux l’aider, mais pas en renonçant à moi-même. On doit trouver une autre solution. »
Elle a pleuré. Moi aussi. Mais pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie libre.
Aujourd’hui, Julien a trouvé une colocation à Montreuil. Il va mieux, petit à petit. Ma mère m’en veut encore un peu, mais je crois qu’elle commence à comprendre. Paul et moi avons décidé d’emménager ensemble, mais cette fois, c’est mon choix.
Parfois, je me demande : jusqu’où doit-on aller pour sa famille ? Est-ce qu’on peut vraiment s’oublier soi-même sans tout perdre ? Qu’en pensez-vous ?