Un samedi matin qui a brisé mon monde – L’histoire de Zélie au supermarché du quartier
— Madame, votre carte s’il vous plaît ?
La voix de la caissière, Claire, résonne dans mes oreilles comme un coup de tonnerre. Je fouille frénétiquement dans mon sac à main, mes mains tremblent. Les regards impatients derrière moi me brûlent la nuque. Je sens la sueur perler sur mon front. Je fouille encore, plus vite, plus fort, jusqu’à ce que mes doigts rencontrent le vide. Mon portefeuille a disparu.
— Je… je suis désolée, je… il était là ce matin, balbutié-je, la gorge serrée.
Claire me regarde, un mélange de compassion et de gêne dans les yeux. Derrière moi, une vieille dame souffle bruyamment. Un jeune homme marmonne :
— On n’a pas toute la journée, hein !
Je sens mes joues s’enflammer. Je bredouille des excuses, je promets de revenir payer, mais je vois bien que personne n’y croit vraiment. Je quitte le supermarché, les bras vides, le cœur lourd, la honte collée à la peau.
En rentrant chez moi, je retourne tout l’appartement. Rien. Je commence à paniquer. Mon mari, Luc, me regarde d’un air fatigué.
— Encore une étourderie, Zélie ? Tu devrais faire plus attention, tu sais…
Sa voix est sèche, presque agacée. Je sens une pointe de reproche, comme si j’avais fait exprès. Ma fille, Camille, lève les yeux au ciel.
— Maman, c’est pas possible, t’es vraiment tête en l’air !
Je me sens minuscule, inutile. Je repense à la scène au supermarché, à ces regards, à cette humiliation publique. Je me demande si quelqu’un m’a volée ou si j’ai vraiment tout perdu toute seule. Je commence à douter de moi-même.
Le lendemain, je reçois un appel du supermarché. Ils ont retrouvé mon portefeuille… vide. Plus de carte bancaire, plus d’argent, plus de papiers. Juste une photo de Camille, glissée dans la pochette transparente. Je fonds en larmes.
Luc me regarde, soupire.
— Tu vois, c’est pour ça que je te dis toujours de faire attention. On ne peut pas se permettre ce genre d’erreur.
Je sens la colère monter. Pourquoi est-ce toujours moi la fautive ? Pourquoi personne ne me soutient ?
Le soir, au dîner, l’ambiance est glaciale. Camille pianote sur son téléphone, Luc lit le journal. Je tente de lancer la conversation.
— Vous savez, j’ai vraiment eu peur aujourd’hui. J’ai eu l’impression que tout le monde me jugeait…
Camille hausse les épaules.
— C’est pas grave, maman. Faut juste être moins naïve.
Je me retiens de pleurer. Je me sens seule, incomprise. Je me demande si c’est moi qui ai changé ou si c’est eux qui ne me voient plus.
Les jours passent, mais la suspicion s’installe. Luc commence à vérifier les comptes bancaires plus souvent. Il me demande où je vais, ce que je fais. Camille me regarde avec un mélange de pitié et d’agacement. Je sens que la confiance s’effrite, que quelque chose s’est brisé.
Un soir, alors que je range la cuisine, j’entends Luc parler à voix basse au téléphone.
— Oui, elle a encore perdu son portefeuille… Non, je ne sais pas ce qui lui arrive. Peut-être qu’elle ne va pas bien…
Je me fige. Il parle de moi comme d’une étrangère, comme d’une enfant irresponsable. Je me sens trahie.
Le week-end suivant, ma sœur, Hélène, vient me rendre visite. Je lui raconte tout, la honte, la peur, la solitude.
— Tu sais, Zélie, ce n’est pas grave. Ça arrive à tout le monde. Mais tu dois en parler à Luc, lui dire ce que tu ressens.
Je hoche la tête, mais au fond de moi, je sais que ce n’est pas si simple. Depuis cet incident, je me sens surveillée, jugée. Même mes amis du quartier me regardent autrement. Au marché, Madame Dupuis me lance :
— Alors, on a retrouvé le portefeuille ? Faut faire attention, ma chère !
Je souris, mais j’ai envie de crier. J’ai envie de leur dire que je ne suis pas qu’une femme distraite, que j’ai aussi des peurs, des failles.
Un soir, je décide de parler à Luc.
— Tu sais, ce qui s’est passé au supermarché… ça m’a vraiment blessée. Pas seulement à cause du portefeuille, mais parce que j’ai eu l’impression que tu ne me faisais plus confiance.
Il me regarde, surpris.
— Mais Zélie, ce n’est pas ça… Je m’inquiète pour toi, c’est tout.
— Non, tu ne t’inquiètes pas. Tu me surveilles. Tu me juges.
Un silence lourd s’installe. Je sens les larmes monter.
— J’ai besoin que tu me soutiennes, pas que tu me contrôles.
Il baisse les yeux. Je ne sais pas s’il comprend. Je ne sais pas si quelque chose va changer.
Depuis ce jour, je fais tout pour retrouver confiance en moi. J’essaie de ne plus me laisser définir par cet incident, par le regard des autres. Mais c’est difficile. La blessure est là, profonde. Je me demande si on peut vraiment recoller les morceaux d’une confiance brisée.
Parfois, je me regarde dans le miroir et je me demande : suis-je encore la même Zélie qu’avant ce samedi matin ? Est-ce qu’un simple oubli peut vraiment tout changer ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?