Le souffle du courage : l’anniversaire de Camille
« Maman, est-ce que je vais mourir ? » Ma voix tremblait, coincée entre la peur et l’espoir, alors que je fixais le plafond blanc de ma chambre d’hôpital à Lyon. Ma mère, les yeux rougis par les nuits sans sommeil, s’est penchée vers moi, caressant mes cheveux tombés trop tôt. « Non, ma chérie, pas aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est ton anniversaire. »
J’avais cinq ans, et depuis des mois, la leucémie avait volé mes jeux, mes rires, et même mes cheveux. Mais il y avait une chose qu’elle ne m’avait pas prise : mon rêve. Depuis que j’avais vu les pompiers de la caserne de Villeurbanne sauver notre voisine, je voulais, moi aussi, porter la veste rouge, tenir la lance, et sauver des vies. Je voulais être forte, utile, courageuse. Comme eux.
Ce matin-là, alors que je croyais que la journée serait comme les autres – piqûres, perfusions, et la lumière blafarde de la chambre stérile – un bruit étrange a retenti dans le couloir. Des sirènes. Puis, la porte s’est ouverte sur un homme immense, en uniforme, casque sous le bras. Derrière lui, d’autres pompiers souriaient, tenant un petit gâteau décoré d’une figurine de pompier. Ma mère a éclaté en sanglots. Moi, je n’ai pas compris tout de suite. « Camille, tu veux venir avec nous ? Aujourd’hui, tu es l’une des nôtres. »
J’ai cru rêver. Ils m’ont aidée à enfiler une petite veste de pompier, cousue spécialement pour moi. Mon père, d’habitude si pudique, avait les larmes aux yeux. « Regarde-toi, ma championne… »
Dans la cour de l’hôpital, une vraie caserne miniature m’attendait : un camion rouge, une lance à incendie, et même un faux feu à éteindre – des flammes en tissu orange et rouge. Les infirmières riaient, les médecins filmaient. Les autres enfants, certains en fauteuil roulant, applaudissaient. J’ai pris la lance, aidée par le capitaine Morel. « Vise bien, petite recrue ! » J’ai appuyé sur la poignée, et l’eau a jailli, faisant tomber les flammes de tissu. Tout le monde a crié : « Bravo Camille ! »
Mais ce n’était pas tout. On m’a hissée dans le camion, sirène hurlante, pour un tour dans le quartier. Les passants s’arrêtaient, prenaient des photos, certains pleuraient en me voyant sourire à travers la vitre. J’étais fière. Pour une fois, ce n’était pas la maladie qui faisait parler de moi, mais mon courage.
De retour à l’hôpital, la fête a continué. Les pompiers m’ont offert un casque gravé à mon nom et une médaille de « petite héroïne ». Ma mère m’a serrée fort contre elle. « Tu vois, rien n’est impossible quand on y croit très fort. »
Mais derrière les sourires et les applaudissements, je sentais la tension dans les regards des adultes. Mon père discutait à voix basse avec le médecin : « Combien de temps encore ? » Le médecin a soupiré : « On fait tout ce qu’on peut… Mais il faut profiter de chaque instant. »
Le soir venu, alors que tout le monde était parti et que la chambre retrouvait son silence habituel, j’ai demandé à ma mère : « Est-ce que j’ai été une vraie pompier aujourd’hui ? » Elle a souri tristement : « Tu as été bien plus que ça. Tu as été notre héroïne à tous. »
Je me suis endormie avec mon casque sur l’oreiller, rêvant de feux à éteindre et de vies à sauver. Mais au fond de moi, je savais que le vrai feu contre lequel je me battais était invisible, et que mes parents luttaient chaque jour pour ne pas se laisser consumer par la peur.
Les jours suivants, tout le village parlait de mon anniversaire. Les voisins déposaient des dessins devant l’hôpital, les commerçants organisaient une collecte pour la recherche contre la leucémie. Même le maire est venu me rendre visite : « Camille, tu as réveillé la solidarité de tout notre quartier. Merci. »
Mais il y avait aussi ceux qui murmuraient : « C’est injuste… Une enfant si jeune… Pourquoi elle ? » Ma grande sœur Lucie s’est fâchée contre une amie qui disait qu’il valait mieux ne pas trop s’attacher à moi. « Camille est vivante aujourd’hui. C’est ça qui compte ! »
Un soir, j’ai surpris mes parents en train de se disputer dans la cuisine :
— On ne peut pas continuer comme ça, Sophie ! Je n’en peux plus de faire semblant devant elle…
— Tu crois que c’est facile pour moi ? Je dors à peine ! Mais on doit tenir pour Camille…
— Et Lucie ? Tu y penses à Lucie ? Elle souffre aussi…
J’ai compris alors que ma maladie n’était pas seulement la mienne. Elle brûlait tout autour de moi : mes parents, ma sœur, mes amis. Mais ce jour-là, grâce aux pompiers et à tous ceux qui m’avaient entourée, j’avais réussi à rallumer une petite flamme d’espoir.
Aujourd’hui encore, je repense à cette journée. Peut-être que je ne deviendrai jamais pompier pour de vrai. Mais j’ai compris que le courage ne se mesure pas au nombre de vies sauvées ou aux médailles reçues. Il se trouve dans chaque sourire arraché à la douleur, dans chaque main tendue malgré la peur.
Est-ce que vous aussi, vous avez déjà eu peur de perdre espoir ? Qu’est-ce qui vous donne la force de continuer quand tout semble perdu ?