L’avertissement de ma mère : « Ne laisse jamais entrer une amie seule chez toi »

« Tu ne devrais pas la laisser entrer seule, Camille. » La voix de ma mère résonnait dans ma tête alors que je tournais la clé dans la serrure. Claire attendait sur le palier, un sourire fatigué sur les lèvres, son manteau trempé par la pluie battante de ce soir d’octobre. J’ai hésité une seconde, puis j’ai ouvert grand la porte.

— Entre vite, tu vas attraper froid !

Elle a posé son sac dans l’entrée, s’est débarrassée de ses chaussures et m’a serrée dans ses bras. J’ai senti son parfum familier, un mélange de vanille et de tabac froid. Depuis la naissance de mon fils Paul, il y a six mois, je me sentais terriblement seule. Mon mari, Julien, travaillait tard, ma mère habitait loin, et mes journées se résumaient à des couches, des biberons et un silence pesant. Claire était mon rayon de soleil, celle qui me rappelait que j’étais encore une femme, pas seulement une mère épuisée.

Pourtant, ce soir-là, quelque chose clochait. Claire semblait nerveuse. Elle jetait des coups d’œil vers le salon où Paul dormait dans son berceau. Nous nous sommes installées dans la cuisine. Je lui ai servi du thé.

— Tu sais, Camille… Je ne sais pas comment te dire ça…

Son regard fuyait le mien. J’ai senti mon cœur se serrer. J’ai repensé à l’avertissement de ma mère : « Ne laisse jamais entrer une amie seule chez toi. » Elle me l’avait répété mille fois, sans jamais expliquer pourquoi. J’avais toujours trouvé ce conseil absurde, presque archaïque. Mais là, face à Claire, je comprenais qu’il y avait parfois des vérités cachées derrière les peurs des anciens.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle a pris une grande inspiration.

— J’ai besoin de ton aide. Je… Je n’ai nulle part où aller ce soir.

Je suis restée sans voix. Claire, si forte, si indépendante… Je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse être en difficulté. Elle a baissé les yeux.

— J’ai quitté Thomas. Il m’a trompée. Je n’ai rien dit à personne. Je me sens tellement bête…

Je l’ai prise dans mes bras. J’ai senti ses larmes couler sur mon épaule. J’ai oublié l’avertissement de ma mère. J’ai oublié tout sauf l’amitié.

— Tu restes ici autant que tu veux.

Les jours ont passé. Claire s’est installée dans la chambre d’amis. Elle m’aidait avec Paul, préparait le dîner, faisait rire la maison. Julien semblait ravi d’avoir une présence supplémentaire. Mais peu à peu, j’ai senti un malaise s’installer. Claire passait de plus en plus de temps avec Julien. Ils riaient ensemble dans la cuisine, partageaient des souvenirs d’enfance. Je me suis surprise à les observer, à ressentir une pointe de jalousie.

Un soir, alors que je berçais Paul dans sa chambre, j’ai entendu des éclats de voix dans le salon.

— Tu ne comprends pas, Julien !

— Mais si, Claire…

Je me suis approchée sans bruit. La porte était entrouverte. J’ai vu Claire poser sa main sur le bras de Julien. Il n’a pas reculé.

— Tu es malheureux avec Camille, non ?

J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. J’ai reculé, le cœur battant. J’ai repensé à ma mère, à ses mots. Avait-elle vécu la même chose ? Était-ce pour cela qu’elle m’avait prévenue ?

Cette nuit-là, je n’ai pas fermé l’œil. Le lendemain matin, j’ai trouvé Claire dans la cuisine, une tasse à la main.

— Tu as bien dormi ?

J’ai hoché la tête sans répondre. Julien est arrivé, l’air gêné. Un silence pesant s’est installé.

Quelques jours plus tard, j’ai surpris un message sur le téléphone de Julien : « Je pense à toi. Claire. »

J’ai compris que tout était en train de m’échapper. J’ai confronté Julien. Il a nié d’abord, puis a avoué qu’il se sentait perdu, qu’il avait besoin d’attention, que Claire l’écoutait.

J’ai demandé à Claire de partir. Elle a pleuré. Elle a dit qu’elle ne voulait pas me faire de mal. Mais le mal était fait.

Après son départ, la maison est redevenue silencieuse. Julien et moi avons essayé de recoller les morceaux, mais quelque chose s’était brisé. J’ai appelé ma mère.

— Tu avais raison, maman. Mais pourquoi ne m’as-tu jamais expliqué ?

Sa voix était douce, fatiguée.

— Parce que certaines douleurs sont trop lourdes à raconter. J’ai voulu te protéger.

Aujourd’hui, je regarde Paul dormir et je me demande : ai-je été naïve ? Ou bien est-ce la peur qui nous empêche de faire confiance ? Est-ce que l’histoire se répète toujours, ou peut-on vraiment choisir d’écrire la sienne ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment protéger ceux qu’on aime sans leur transmettre nos propres peurs ?