Le Mixeur de Trop : Chronique d’une Déception à la Française
— Tu vas encore acheter un gadget inutile, Camille ?
La voix de ma mère résonne dans l’entrée, alors que j’enfile mes baskets. Je serre la poignée de mon sac à main, déjà agacée. Depuis mon retour à la maison après ma rupture avec Julien, chaque décision semble soumise à un tribunal familial.
— Ce n’est pas un gadget, maman. C’est un mixeur. Pour faire mes soupes, mes smoothies…
Elle lève les yeux au ciel. Mon père, assis devant son café, marmonne :
— À ton âge, on devrait penser à autre chose qu’à des soupes.
Je claque la porte sans répondre. Dans la rue, l’air frais de ce samedi matin me gifle doucement. Je me répète que ce mixeur sera le symbole de mon indépendance retrouvée. Plus de plats surgelés, plus de repas pris en silence devant la télé familiale. Je veux retrouver le goût de cuisiner pour moi.
Arrivée au centre commercial « Les Arcades », je suis happée par la foule. Les caddies s’entrechoquent, les enfants crient. Je me fraie un chemin jusqu’au rayon électroménager. Là, sous une lumière crue, trônent des dizaines de mixeurs. Mon cœur bat plus vite.
Un vendeur s’approche, sourire commercial vissé aux lèvres :
— Bonjour mademoiselle ! Vous cherchez quelque chose en particulier ?
Je bredouille :
— Un mixeur… mais pas n’importe lequel. Il me faut quelque chose de solide, puissant…
Il me vante le dernier modèle Moulinex, « turbo-blade », 800 watts, garantie trois ans. Je me laisse convaincre par ses arguments techniques et son assurance. Je tends ma carte bleue sans réfléchir. 129 euros. Une somme énorme pour moi qui vis de petits boulots depuis des mois.
En sortant du magasin, je sens déjà poindre un doute. Ai-je fait le bon choix ? Mais je chasse cette pensée : ce soir, je préparerai une soupe de potimarron comme chez mamie.
De retour à la maison, je déballe fièrement mon achat dans la cuisine familiale. Ma mère soupire :
— Tu aurais pu attendre les soldes…
Je l’ignore et commence à couper les légumes. Le mixeur vrombit, la soupe mousse… mais le goût n’a rien d’exceptionnel. Mon père grimace devant son bol.
— Tu as mis trop de sel.
Je monte dans ma chambre, le cœur lourd. Sur Instagram, je tombe sur une story d’une amie : « -50% sur tout le petit électroménager chez Les Arcades ! »
Je relis deux fois. La promotion commence… demain.
Je sens les larmes monter. J’ai dépensé une fortune pour rien. J’aurais pu attendre un jour de plus. Pourquoi suis-je toujours aussi impulsive ? Pourquoi ai-je besoin de prouver quelque chose à mes parents ?
Le lendemain matin, je retourne au magasin avec mon ticket de caisse, espérant un geste commercial. La caissière me regarde avec pitié :
— Désolée mademoiselle, la promo ne s’applique pas aux achats antérieurs…
Je sors du centre commercial en pleurant. Sur le parking, j’aperçois une mère et sa fille qui rient en poussant un caddie rempli d’articles soldés. J’ai envie de leur crier ma frustration.
À la maison, ma mère me prend dans ses bras pour la première fois depuis des mois.
— Ce n’est qu’un mixeur, Camille… Ce n’est pas grave.
Mais pour moi, c’est plus que ça. C’est l’histoire d’un espoir déçu, d’une envie d’émancipation qui se fracasse contre la réalité du quotidien et des petits calculs économiques.
Ce soir-là, je regarde mon mixeur flambant neuf posé sur le plan de travail. Je me demande : pourquoi cherchons-nous tant à combler nos manques par des achats ? Est-ce que ce besoin de nouveauté ne cache pas autre chose ? Et vous, avez-vous déjà ressenti cette déception après un achat impulsif ?