Lettre de Noël d’une petite fille : Mon cœur partagé entre deux familles
« Pourquoi tu ne veux pas m’adopter ? » Ma voix tremblait, mes doigts serraient la feuille froissée que j’avais cachée sous mon oreiller. Maman Claire s’est figée, la casserole de soupe à la main. Papa Jean, lui, a détourné les yeux vers la fenêtre, comme s’il pouvait fuir ma question dans la nuit froide de décembre.
J’avais neuf ans et, ce soir-là, j’ai compris que Noël ne serait jamais comme dans les films. Depuis trois ans, je vivais chez Claire et Jean, dans cette maison en pierre près de Tours, avec leur fils Hugo qui avait mon âge. Je n’étais pas leur fille, pas vraiment. J’étais « placée », comme on dit dans les dossiers de l’ASE. Mais dans mon cœur, je voulais croire que je pourrais l’être un jour.
Tout a commencé ce matin-là, quand j’ai écrit ma lettre au Père Noël. Je n’ai pas demandé de jouets ni de vêtements. J’ai simplement écrit : « Cher Père Noël, je voudrais une vraie famille pour toujours. » J’ai glissé la lettre sous mon oreiller, pensant la poster en secret. Mais Claire l’a trouvée en changeant les draps.
Le soir venu, elle m’a appelée dans la cuisine. Hugo dessinait sur la table, indifférent à notre conversation. Claire a posé la lettre devant moi. « Léa… tu sais qu’on t’aime très fort. Mais il y a des choses qu’on ne peut pas décider seuls. » Sa voix était douce mais ses yeux brillaient d’une tristesse que je n’avais jamais vue.
J’ai éclaté : « Mais pourquoi ? Je fais tout bien ! Je range ma chambre, j’aide à mettre la table… Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? » Jean a posé sa main sur mon épaule : « Ce n’est pas toi, Léa. C’est compliqué… Il y a ta maman biologique, le juge… On ne peut pas t’adopter comme ça. »
Les mots tournaient dans ma tête comme une tempête. Ma mère biologique… Je ne l’avais pas vue depuis deux ans. Elle vivait à Nantes, disait-on, et parfois elle envoyait une carte postale avec un cœur dessiné maladroitement. Mais elle ne venait jamais aux visites médiatisées. J’avais arrêté d’espérer.
La semaine suivante, à l’école, j’ai vu les autres enfants préparer des cadeaux pour leurs parents. J’ai menti à la maîtresse : « Je vais faire deux cadeaux, un pour ma maman et un pour Claire. » Elle a souri sans comprendre.
Le 24 décembre, la maison sentait le sapin et les biscuits à la cannelle. Claire avait accroché une chaussette avec mon prénom à côté de celle d’Hugo. Mais je sentais bien que quelque chose clochait. Après le dîner, alors qu’on ouvrait les cadeaux, le téléphone a sonné. Claire a décroché et son visage s’est figé.
« Léa… c’est ta maman biologique. Elle veut te parler. »
Mon cœur s’est emballé. Je n’avais plus rien à dire à cette femme qui m’avait laissée partir sans un mot. Mais j’ai pris le combiné.
« Ma chérie… Joyeux Noël… Je pense à toi tous les jours… Je suis désolée… Je vais mieux maintenant… Peut-être qu’on pourrait se voir bientôt ? »
Sa voix tremblait autant que la mienne. J’ai répondu à peine : « D’accord… » Puis j’ai raccroché en silence.
Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’écoutais les rires d’Hugo dans la chambre d’à côté et les pas feutrés de Claire dans le couloir. Je me suis demandé si j’avais le droit d’aimer deux familles à la fois.
Le lendemain matin, sous le sapin, il y avait un petit paquet pour moi : un carnet bleu avec mon prénom gravé en lettres dorées. À l’intérieur, Claire avait écrit : « Peu importe où tu iras, tu feras toujours partie de notre famille. »
J’ai fondu en larmes dans ses bras.
Les semaines suivantes ont été un tourbillon d’émotions. Ma mère biologique a commencé une thérapie et a demandé à me voir plus souvent. Claire et Jean m’ont soutenue, même si je voyais bien que ça leur coûtait.
Un soir de janvier, alors que je faisais mes devoirs avec Hugo, il m’a lancé : « Tu vas partir chez ta vraie maman ? Tu vas nous oublier ? »
Je me suis sentie coupable de vouloir retrouver ma mère tout en aimant ma famille d’accueil. J’ai répondu : « Je ne sais pas… Peut-être que j’aurai deux familles maintenant… »
Les adultes se sont réunis autour d’une grande table à la mairie pour discuter de mon avenir. J’étais là aussi, petite souris au milieu des grands mots : « intérêt supérieur de l’enfant », « attachement », « stabilité ». Personne ne me demandait ce que je ressentais vraiment.
Un jour, après une visite chez ma mère biologique, j’ai compris qu’elle m’aimait mais qu’elle n’était pas prête à être une maman tous les jours. Elle pleurait beaucoup et me serrait fort contre elle.
De retour chez Claire et Jean, je me suis blottie contre eux sur le canapé. Jean m’a murmuré : « Tu sais Léa, aimer deux familles ce n’est pas trahir l’une ou l’autre. C’est juste aimer plus fort. »
Aujourd’hui, j’ai douze ans et j’écris cette histoire dans mon carnet bleu. J’ai deux familles qui m’aiment différemment et c’est parfois douloureux mais aussi très beau.
Est-ce qu’on peut vraiment appartenir à deux mondes sans se perdre soi-même ? Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu le cœur partagé entre deux amours ?