L’anniversaire de Guillaume : La révolte d’une belle-fille
« Tu comptes encore faire des lasagnes pour tout le monde, Claire ? » La voix de Guillaume résonne dans la cuisine, alors que je suis déjà en train d’éplucher des pommes de terre. Il ne se rend même pas compte que je n’ai pas dormi plus de cinq heures cette semaine, à force de tout préparer pour sa famille. Chaque année, c’est la même chose : sa mère, son frère, ses tantes, ses cousins… Ils débarquent tous, sans prévenir, sans rien apporter, comme si notre appartement était une annexe du salon familial. Et moi, je deviens invisible, réduite à une cuisinière silencieuse.
Cette année, j’ai décidé que ce serait différent. J’ai passé la nuit à ruminer. Pourquoi est-ce toujours à moi de porter tout ce poids ? Pourquoi personne ne me demande jamais si j’en ai envie ? J’ai repensé à l’année dernière, quand la tante Hélène s’est plainte que le gratin n’était pas assez salé. Ou quand la mère de Guillaume a critiqué la vaisselle en porcelaine « trop moderne ». J’ai senti une boule monter dans ma gorge. Cette fois, non. Cette fois, je ne serai pas leur domestique.
Le matin du fameux anniversaire, je me suis levée tôt. J’ai préparé un simple gâteau au yaourt et une salade composée. Pas de plats mijotés pendant des heures, pas de nappes repassées à la perfection. J’ai même envoyé un message dans le groupe familial : « Cette année, on fait simple ! Chacun apporte un plat ou une boisson. »
Guillaume m’a regardée comme si j’étais devenue folle. « Mais maman va mal le prendre… »
— Et moi alors ? Tu crois que je le prends comment depuis toutes ces années ?
Il a baissé les yeux. Je crois que c’est la première fois qu’il comprenait vraiment ce que je ressentais.
À 15h, la sonnette a retenti. La famille est arrivée en rang serré, les bras… vides. Pas un plat, pas une bouteille. Juste des sourires gênés et des « Oh, Claire, tu as l’air fatiguée ! »
J’ai pris une grande inspiration. « Installez-vous ! Le buffet est là-bas. »
Ils ont découvert la table : un gâteau, une salade, quelques chips. Silence gênant. La tante Hélène a chuchoté à la mère de Guillaume : « C’est tout ? »
Guillaume a tenté de détendre l’atmosphère : « Claire voulait qu’on fasse simple cette année… »
La mère de Guillaume s’est approchée de moi dans la cuisine :
— Tu n’as rien préparé d’autre ?
— Non. J’ai demandé à chacun d’apporter quelque chose.
— Mais enfin Claire ! Ce n’est pas comme ça qu’on fait chez nous !
J’ai senti mes mains trembler. J’ai pensé à toutes ces années où j’avais tout donné pour eux. J’ai pensé à mes propres parents qui habitent à 600 km et que je ne vois presque jamais parce que je suis toujours coincée ici à servir les autres.
— Justement, chez moi, ce n’est pas comme ça non plus. Je ne peux plus continuer comme avant.
Un silence glacial s’est installé. Les conversations ont repris timidement autour du buffet minimaliste. Certains ont ri jaune, d’autres ont boudé dans un coin du salon.
Vers 17h, le frère de Guillaume a lancé : « Bon ben… on va y aller alors ! »
Ils sont partis plus tôt que d’habitude. Guillaume est resté assis sur le canapé, l’air perdu.
— Tu m’en veux ? ai-je demandé.
Il a secoué la tête.
— Non… Je crois que j’aurais dû t’aider depuis longtemps.
J’ai fondu en larmes. Pour la première fois depuis des années, j’avais osé dire non. Mais au fond de moi, je me sentais coupable. Coupable d’avoir brisé cette tradition familiale qui n’en était pas une pour moi. Coupable d’avoir déçu tout le monde… sauf moi-même.
Le soir venu, Guillaume m’a prise dans ses bras.
— On fera différemment l’an prochain. Promis.
Je me suis demandé : pourquoi est-ce toujours aux femmes de porter ce fardeau invisible ? Pourquoi le simple fait de dire stop paraît-il si violent ? Est-ce que j’ai eu raison d’imposer mes limites… ou ai-je juste semé la discorde pour rien ? Qu’en pensez-vous ?