Mariage sans amour : l’histoire de Claire, ou comment j’ai accepté une vie qui n’était pas la mienne
« Tu ne vas quand même pas tout gâcher maintenant, Claire ? » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Paul est dans le salon, il regarde le journal télévisé, indifférent à la tempête qui gronde en moi. Je n’ai que trente-sept ans et j’ai l’impression d’en avoir soixante.
Tout a commencé il y a quinze ans, dans notre petite ville de Tours. J’avais vingt-deux ans, des rêves plein la tête et une peur panique de finir seule. Mes amies se mariaient les unes après les autres. Ma mère me répétait : « Claire, tu n’es plus une gamine. Il faut penser à l’avenir. » Alors, quand Paul m’a demandé en mariage, j’ai dit oui. Pas parce que je l’aimais, mais parce qu’il était gentil, stable, rassurant. Parce qu’il cochait toutes les cases que la société attendait de moi.
Le jour du mariage, j’ai souri pour les photos, j’ai ri aux blagues de mon père, j’ai dansé avec mes cousins. Mais à l’intérieur, c’était le vide. Je me souviens du regard de ma sœur, Sophie, qui m’a prise à part dans la salle des fêtes :
— Claire, tu es sûre de toi ?
— Bien sûr, pourquoi tu demandes ça ?
— Tu n’as pas l’air heureuse…
J’ai haussé les épaules et je suis retournée vers Paul. Il m’a prise par la main, sa paume chaude contre la mienne. J’ai senti une boule se former dans ma gorge.
Les années ont passé. Nous avons acheté un appartement à Tours Nord, puis une petite maison à Saint-Cyr-sur-Loire. Paul a eu une promotion à la mairie, moi j’ai trouvé un poste d’assistante dans une agence immobilière. Nous avons eu deux enfants : Camille et Louis. Sur le papier, tout était parfait. Mais chaque soir, en rangeant la cuisine ou en pliant le linge, je me demandais : « Est-ce que c’est ça, le bonheur ? »
Paul n’a jamais été violent ou méchant. Il est attentionné avec les enfants, il m’offre des fleurs à mon anniversaire. Mais il ne me regarde jamais vraiment. Il ne voit pas mes doutes, mes envies d’ailleurs, mes rêves étouffés sous la routine. Parfois, je me surprends à l’observer pendant qu’il lit son journal ou qu’il tond la pelouse, et je me demande ce que serait ma vie si j’avais eu le courage de dire non.
Un soir d’hiver, alors que les enfants dormaient et que Paul était sorti voir un match avec ses collègues, j’ai appelé Sophie.
— J’en peux plus, Soph’. J’étouffe.
— Tu veux partir ?
— Je ne sais pas… J’ai peur d’être seule.
— Tu es déjà seule, Claire.
Ses mots m’ont frappée en plein cœur. Oui, j’étais seule depuis le début. Seule dans un couple qui n’en était pas vraiment un. Seule dans une maison pleine de rires d’enfants mais vide d’amour.
La pression familiale n’a jamais cessé. À chaque repas chez mes parents, ma mère me lançait des regards inquiets : « Tu as l’air fatiguée… Paul t’aide assez ? » Mon père parlait de ses souvenirs de jeunesse avec ma mère, comme pour me rappeler que leur amour avait survécu à tout. Mais moi, je n’avais rien à raconter.
Un jour, Camille est rentrée du collège en pleurant :
— Maman, pourquoi tu ne souris jamais ?
Je suis restée sans voix. Mon propre enfant voyait ce que je m’efforçais de cacher au monde entier.
J’ai essayé d’en parler à Paul. Un soir, après avoir couché les enfants :
— Paul… Tu es heureux avec moi ?
Il a haussé les épaules :
— Bien sûr… Pourquoi tu demandes ça ?
— Je ne sais pas… J’ai l’impression qu’on fait juste semblant.
Il a soupiré :
— On a une belle vie, Claire. Tu veux vraiment tout gâcher ?
Je n’ai rien répondu. J’ai pensé à toutes ces femmes qui restent par peur du vide, par peur du regard des autres. À toutes celles qui se disent que c’est mieux que rien.
Les mois ont passé. J’ai commencé à écrire dans un carnet le soir, quand tout le monde dormait. J’y ai mis mes regrets, mes envies de partir loin, mes souvenirs d’avant Paul — quand j’étais encore capable de rêver.
Un matin de printemps, alors que je déposais Louis à l’école primaire du quartier, j’ai croisé le regard d’une autre mère — Hélène — qui venait de divorcer. Elle avait l’air fatiguée mais libre. Elle m’a souri :
— Ce n’est pas facile au début… mais on finit par respirer à nouveau.
Ses mots m’ont suivie toute la journée.
Aujourd’hui encore, je suis là, assise dans cette cuisine trop silencieuse. Paul est parti au travail sans un mot tendre. Les enfants grandissent et s’éloignent déjà un peu plus chaque jour.
Je me demande : est-ce mieux d’être seule ou de vivre dans un mensonge ? Est-ce que le confort d’une vie « parfaite » vaut le prix de mon bonheur ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on peut vraiment apprendre à aimer quelqu’un juste parce qu’on a peur d’être seul ?