Mon mari veut tout quitter pour la campagne : un rêve ou une fuite ?

« Camille, tu ne comprends pas ! Ici, on respire, on vit ! »

La voix de Julien résonne encore dans la cuisine de mes parents, alors que je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Le soleil du matin perce à travers les rideaux fleuris, et le parfum du pain grillé flotte dans l’air. Mais je n’ai pas faim. Je sens la tension monter, comme chaque fois que Julien aborde ce sujet.

« Tu veux vraiment qu’on laisse tout derrière nous ? Nos amis, mon travail, notre vie à Paris ? »

Julien s’agite, tourne en rond comme un enfant contrarié. Il attrape une pomme sur la table, la fait rouler entre ses doigts. « Mais regarde autour de toi, Camille ! Ici, tout est simple. Pas de métro bondé, pas de bruit, pas de stress. On pourrait avoir un jardin, un chien… Peut-être même des poules ! »

Je soupire. Mes parents échangent un regard inquiet. Maman pose une main sur mon épaule, silencieuse mais présente. Papa, lui, se réfugie derrière son journal, comme s’il pouvait ignorer la tempête qui gronde.

Julien n’a jamais vraiment aimé Paris. Il s’y sentait à l’étroit, perdu dans la foule anonyme. Mais moi, j’y ai grandi. J’aime le rythme effréné, les lumières la nuit, les terrasses bondées même en hiver. J’aime mon travail dans une petite maison d’édition du 11e arrondissement. J’aime pouvoir passer chez mes parents le dimanche, même si c’est rare.

Ce week-end à la campagne était censé être une parenthèse. Un bol d’air frais avant la rentrée. Mais pour Julien, c’est devenu une obsession.

« Tu ne vois donc pas que tu fuis quelque chose ? »

Il me regarde, blessé. « Je ne fuis rien ! Je veux juste qu’on soit heureux. Toi et moi. »

Mais son bonheur ressemble à une fuite en avant. Il rêve d’une vie simple, loin des responsabilités et des compromis. Il veut tout recommencer à zéro, comme un enfant qui change de jeu quand il s’ennuie.

Le soir venu, alors que mes parents dorment déjà, Julien insiste pour sortir marcher sous les étoiles. Nous traversons le jardin en silence. Les grillons chantent dans l’herbe haute.

« Camille… Je t’en prie… » Sa voix tremble. « Je ne me sens pas à ma place là-bas. Ici, j’ai l’impression d’exister enfin. »

Je sens les larmes monter. « Et moi alors ? Tu penses à moi ? À ce que je devrais sacrifier ? »

Il s’arrête, me prend les mains. « On trouvera du travail ici aussi. Tes parents seront là pour nous aider… »

Je secoue la tête. « Ce n’est pas si simple ! Tu crois que je peux abandonner tout ce que j’ai construit ? Mes amis, mon équipe… Même mes habitudes ! »

Julien baisse les yeux. Il a toujours été comme ça : impulsif, rêveur, incapable d’affronter les difficultés sans vouloir tout balayer d’un revers de main.

Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Papa brise enfin le silence :

« Vous savez… La campagne, ce n’est pas toujours facile non plus. Il faut se lever tôt, s’occuper du jardin, affronter l’isolement… Ce n’est pas un conte de fées. »

Julien hausse les épaules : « Je préfère ça au métro et au bruit ! »

Maman me regarde avec tristesse. Elle sait ce que je ressens : le tiraillement entre deux mondes, deux façons de vivre.

Sur le chemin du retour vers Paris, Julien ne parle presque pas. Il regarde défiler les champs par la fenêtre du train, les yeux brillants d’espoir ou de déception – je ne sais plus.

Les jours passent et l’idée ne le quitte pas. Il commence à chercher des annonces de maisons à vendre dans la région de mes parents. Il m’envoie des liens toute la journée : « Regarde celle-là ! Un potager immense ! » ou « On pourrait adopter un chien ici… »

Je me sens prise au piège entre son rêve et ma réalité.

Un soir, alors que je rentre tard du travail, il m’attend dans le salon avec une carte de la région étalée sur la table.

« Camille… J’ai besoin qu’on prenne une décision. Je ne peux plus vivre comme ça… »

Je m’assois en face de lui. Mon cœur bat trop vite.

« Et si tu partais sans moi ? »

Il blêmit. « Tu ne ferais pas ça… »

Je détourne les yeux. « Je ne sais plus quoi faire… Je t’aime mais je ne veux pas renoncer à qui je suis pour te suivre dans un rêve qui n’est peut-être pas le mien… »

Il se lève brusquement et claque la porte de la chambre.

Cette nuit-là, je ne dors pas. Je repense à nos débuts : nos promenades sur les quais de Seine, nos fous rires dans les petits cafés du Marais… Quand est-ce que tout a changé ? Quand est-ce que ses rêves sont devenus si différents des miens ?

Le lendemain matin, il part travailler sans un mot.

Je reste seule dans notre appartement silencieux. Je regarde par la fenêtre les toits gris de Paris et je me demande : faut-il tout sacrifier par amour ? Peut-on aimer quelqu’un sans partager ses rêves ? Ou bien l’amour consiste-t-il justement à accepter que l’autre soit différent ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Faut-il suivre celui qu’on aime au risque de se perdre soi-même ?