Trois mois de silence : Le prix de nos vacances face à la colère de ma belle-mère
« Tu te rends compte, Gianna ? Trois mois. Trois mois sans un mot, sans un regard. » Romain tourne en rond dans la cuisine, les mains crispées sur sa tasse de café. Je l’observe, assise à la table, le cœur serré. Les aiguilles de l’horloge semblent s’être arrêtées le jour où nous avons annoncé à Éva que nous partions en Corse cet été.
— Elle va finir par comprendre, non ?
Je hausse les épaules. Je n’en suis pas si sûre. Depuis que je suis entrée dans cette famille, j’ai appris à connaître Éva : femme élégante, toujours tirée à quatre épingles, qui aime recevoir et exhiber sa maison impeccable à ses amies du club de bridge. Tous les cinq ans, comme un rituel, elle exige une nouvelle cuisine, une salle de bains dernier cri ou une terrasse refaite à neuf. Et à chaque fois, elle sollicite ses enfants pour l’aider à financer ces caprices.
Cette année, c’était notre tour. Mais après deux ans de stress au travail et une fatigue qui me rongeait jusqu’à l’os, j’ai supplié Romain :
— S’il te plaît, cette fois, pensons à nous. Juste une fois.
Il a accepté. Nous avons réservé deux semaines en Corse, loin du tumulte parisien, loin des exigences familiales. Mais dès qu’Éva l’a appris, son visage s’est fermé. Elle n’a pas crié. Pire : elle a simplement cessé d’exister pour nous.
Le dimanche suivant, lors du traditionnel déjeuner familial à Sceaux, elle a servi le rôti sans un mot pour nous. Même pas un regard. J’ai tenté un sourire :
— Tu veux que je t’aide à débarrasser ?
Elle a posé les assiettes dans mes mains sans me répondre. Sa sœur, tante Mireille, a tenté de détendre l’atmosphère :
— Oh, Éva, tu sais bien que les jeunes ont besoin de vacances !
Mais Éva a rétorqué d’une voix glaciale :
— Certains préfèrent le farniente aux responsabilités.
J’ai senti mon visage brûler de honte et de colère mêlées. Romain m’a serré la main sous la table.
Depuis ce jour-là, plus rien. Pas un message pour l’anniversaire de notre fils Paul. Pas une invitation pour le goûter du dimanche. Même les cousins ont cessé de nous appeler.
Je me suis surprise à douter : Avions-nous eu tort ? Était-ce égoïste de penser à nous ?
Un soir, alors que je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Romain assis dans le noir.
— Elle m’a envoyé un mail aujourd’hui. Pour me dire qu’elle avait trouvé un entrepreneur pour refaire la salle de bains. Elle a ajouté : « Dommage que certains aient d’autres priorités. »
Sa voix tremblait. Je me suis assise près de lui.
— Tu crois qu’on devrait lui parler ?
Il a haussé les épaules.
— Pour dire quoi ? Qu’on regrette d’avoir voulu être heureux ?
Le silence s’est installé entre nous, aussi lourd que celui d’Éva.
Les semaines ont passé. Les collègues au bureau parlaient déjà des vacances d’été. Je n’osais plus évoquer la Corse devant mes amis. J’avais honte de notre bonheur volé.
Un samedi matin, Paul est rentré du parc en pleurant.
— Mamie ne veut plus me voir… Elle a dit que papa et maman n’aimaient pas la famille.
J’ai senti une colère sourde monter en moi. Comment pouvait-elle impliquer notre fils dans cette histoire ?
Le soir même, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai appelé Éva.
— Éva, il faut qu’on parle.
Un silence glacial au bout du fil.
— Je n’ai rien à te dire.
— Tu as blessé Paul aujourd’hui. Ce n’est pas juste.
Elle a soupiré.
— Ce n’est pas moi qui ai commencé.
J’ai explosé :
— On ne peut pas toujours vivre pour toi ! On travaille dur, on élève notre fils… On avait besoin de souffler !
Sa voix s’est adoucie un instant :
— Tu crois que c’est facile d’être seule ? Depuis que son père est parti… Il ne me reste que vous.
J’ai eu un pincement au cœur. Derrière sa froideur se cachait une immense solitude.
Mais je n’ai pas cédé :
— On sera toujours là pour toi. Mais il faut aussi nous laisser vivre.
Elle n’a rien répondu. Mais le lendemain matin, Paul a reçu un message : « Viens goûter chez mamie quand tu veux. »
Depuis, le silence s’est fissuré. Mais la blessure reste là, comme une cicatrice invisible.
Parfois je me demande : Avons-nous vraiment le droit de choisir notre bonheur au détriment des attentes familiales ? Où commence l’égoïsme et où finit le devoir ? Qu’en pensez-vous ?