Au Bord du Gouffre : Quand la Foi Devient Notre Dernier Refuge

— Claire, il faut que tu sois forte.

La voix de ma mère résonne dans mon oreille, tremblante mais ferme. Je serre le combiné si fort que mes jointures blanchissent. Autour de moi, la salle d’attente du service d’oncologie du CHU de Lyon est saturée d’une odeur de désinfectant et de peur. Je regarde François à travers la vitre, allongé sur son lit d’hôpital, le visage pâle, les yeux fermés. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser.

Tout a commencé un matin de janvier. François s’est plaint d’une douleur persistante au ventre. Rien d’alarmant, pensions-nous. Mais les semaines ont passé, les douleurs se sont intensifiées. Puis le verdict est tombé : cancer du pancréas. J’ai cru m’effondrer. Nous venions à peine de fêter nos dix ans de mariage avec nos deux enfants, Camille et Lucas. La vie nous arrachait notre bonheur sans prévenir.

Les jours suivants furent un tourbillon d’examens, de rendez-vous médicaux, de mots incompréhensibles. Je me suis retrouvée à jongler entre mon travail d’infirmière à mi-temps, les devoirs des enfants et les nuits blanches à veiller François. Un soir, alors que je rentrais à la maison après une longue journée à l’hôpital, j’ai senti une douleur aiguë dans ma poitrine. Je me suis effondrée sur le canapé, incapable de respirer. Le médecin a parlé de surmenage, d’anxiété. Mais comment ne pas sombrer quand on voit l’homme qu’on aime dépérir chaque jour ?

Un soir d’avril, alors que la pluie martelait les vitres, Camille est venue s’asseoir près de moi.

— Maman, pourquoi papa ne rentre pas à la maison ?

J’ai senti mes larmes monter. J’ai voulu lui répondre que tout irait bien, mais je n’en étais plus sûre moi-même.

— Papa est très malade, ma chérie. Mais il se bat très fort.

Camille a baissé la tête.

— Est-ce qu’on peut prier pour lui ?

Je suis restée figée. La foi n’avait jamais eu une grande place dans notre famille. Mais ce soir-là, devant l’innocence de ma fille et la détresse de notre situation, j’ai accepté. Nous avons joint nos mains et murmuré quelques mots maladroits à Dieu.

Ce fut le début d’un rituel. Chaque soir, autour de la table de la cuisine, nous priions ensemble pour François. Peu à peu, j’ai senti une chaleur étrange m’envahir, comme si une force invisible me soutenait. Les enfants semblaient apaisés, moins anxieux.

Mais tout le monde ne comprenait pas ce choix. Ma sœur Sophie m’a appelée un matin.

— Claire, tu ne vas pas me dire que tu crois vraiment que ça va changer quelque chose ?

Sa voix était pleine de scepticisme.

— Je ne sais pas… Peut-être pas. Mais ça nous aide à tenir.

Elle a soupiré.

— Tu devrais penser à toi aussi. Tu t’oublies complètement.

Je savais qu’elle avait raison. Mais comment penser à moi quand François luttait pour sa vie ?

Un dimanche matin, alors que je poussais le fauteuil roulant de François dans le jardin de l’hôpital, il m’a attrapée par la main.

— Claire… Merci d’être là. Je sais que c’est dur pour toi aussi.

J’ai senti mes yeux s’embuer.

— Je t’aime, François. On va s’en sortir…

Il a souri faiblement.

— Tu sais… Quand tu pries avec les enfants… Je t’entends parfois. Ça me donne du courage.

À cet instant précis, j’ai compris que la prière n’était pas seulement un refuge pour moi ou les enfants ; elle était devenue une bouée pour François aussi.

Mais la maladie ne reculait pas. Les traitements étaient lourds ; François perdait du poids et sa voix devenait plus faible chaque jour. Un soir, alors que je rentrais épuisée à la maison, j’ai trouvé Lucas en pleurs dans sa chambre.

— Maman… Et si papa ne rentrait jamais ?

Je me suis assise près de lui et l’ai serré contre moi.

— On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, mon cœur. Mais on est ensemble. Et tant qu’on est ensemble, on peut tout affronter.

Les semaines ont passé dans une alternance d’espoir et de désespoir. Un matin de juin, le médecin nous a annoncé que le cancer avait progressé malgré les traitements. J’ai cru que le sol s’ouvrait sous mes pieds.

Ce soir-là, j’ai prié plus fort que jamais. J’ai supplié Dieu de nous donner la force d’accepter l’inacceptable si cela devait arriver. J’ai demandé un signe, n’importe quoi pour continuer à avancer.

Le lendemain matin, alors que je préparais le petit-déjeuner en silence, Camille est arrivée avec un dessin : toute la famille réunie autour d’un grand soleil jaune.

— Tu vois maman ? Même quand il fait sombre, il y a toujours un peu de lumière quelque part.

J’ai éclaté en sanglots en serrant ma fille dans mes bras.

François est parti un soir d’août, paisiblement, entouré de nous tous. La douleur était immense mais je savais qu’il était fier de nous avoir vus tenir bon jusqu’au bout.

Aujourd’hui encore, chaque fois que je doute ou que la tristesse m’envahit, je repense à ces moments où la foi et la prière ont été notre seul rempart contre le désespoir.

Est-ce vraiment la prière qui nous a aidés à traverser cette épreuve ? Ou bien était-ce simplement l’amour qui nous unissait ? Peut-on vraiment trouver la force dans quelque chose d’invisible ? Qu’en pensez-vous ?