Ils ont envahi ma vie : quand la famille s’incruste et détruit tout

« Tu pourrais au moins frapper avant d’entrer ! » Ma voix tremble, mais mon frère, Julien, hausse les épaules, un sourire narquois aux lèvres. « Détends-toi, Claire, on est en famille. »

En famille… Ces mots résonnent comme une condamnation. Depuis trois mois, Julien, sa femme Sophie et leurs deux enfants occupent notre salon, notre cuisine, notre salle de bains. Ils sont partout. Je ne reconnais plus ma maison. Je ne me reconnais plus moi-même.

Tout a commencé un soir de janvier, alors que la pluie battait les vitres et que Paris semblait engloutie sous la grisaille. Julien a appelé : « On a eu un dégât des eaux, c’est la catastrophe. On peut venir quelques jours ? » J’ai dit oui, évidemment. Comment refuser à son propre frère ?

Mais les jours sont devenus des semaines. Les semaines, des mois. Et personne ne parle de partir.

Mon mari, François, fait tout pour garder le sourire. Mais je vois bien qu’il n’en peut plus. Il rentre de plus en plus tard du travail, prétextant des réunions qui n’existent pas. Le soir, il s’enferme dans notre chambre, casque sur les oreilles, pour échapper aux cris des enfants de Julien qui transforment le salon en terrain de foot.

Un matin, alors que je prépare le café, Sophie débarque en peignoir : « Tu n’aurais pas vu mon shampoing ? » Elle fouille dans mes affaires sans gêne. Je serre les dents. Je voudrais lui dire d’arrêter, de respecter mon espace. Mais je n’ose pas. J’ai peur de passer pour l’égoïste de service.

Le week-end dernier, j’ai surpris une conversation entre François et sa sœur au téléphone : « Je ne sais pas combien de temps je vais tenir… On n’a plus de vie privée. Claire ne dit rien mais je sens qu’elle souffre. »

Il a raison. Je souffre. Je me sens étrangère chez moi. Même mon chat s’est réfugié sous le lit et n’en sort plus.

Hier soir, j’ai tenté d’aborder le sujet avec Julien :
— Tu as des nouvelles de l’assurance ? Vous savez quand vous pourrez rentrer chez vous ?
Il a haussé les épaules :
— Franchement, avec les travaux et tout… On n’est pas pressés. Ici, on est bien.

J’ai senti la colère monter en moi comme une vague brûlante. Mais rien n’est sorti. Juste un sourire crispé.

La nuit dernière, François m’a prise dans ses bras :
— On ne peut pas continuer comme ça, Claire. Ce n’est plus vivable.
J’ai éclaté en sanglots silencieux. J’ai honte de ne pas savoir dire non à mon frère. J’ai honte de laisser mon couple se fissurer.

Ce matin encore, la tension est palpable. Les enfants de Julien ont renversé du jus d’orange sur le tapis du salon — celui que j’avais choisi avec tant de soin lors de notre emménagement il y a cinq ans. Sophie a haussé les épaules : « Ce n’est qu’un tapis… »

Je me suis enfermée dans la salle de bains pour pleurer en silence.

À midi, alors que je mets la table pour six (au lieu de deux), François me glisse à l’oreille :
— Il faut qu’on parle à Julien ce soir. Ensemble.
Je hoche la tête mais mon cœur bat la chamade.

Le soir venu, nous nous asseyons tous autour de la table. François prend la parole :
— Julien, Sophie… On doit parler sérieusement. Cette situation ne peut plus durer.
Julien fronce les sourcils :
— Quoi ? Tu veux qu’on parte ?
François reste calme :
— Ce n’est pas contre vous. Mais on a besoin de retrouver notre intimité.
Sophie se met à pleurer :
— On n’a nulle part où aller !
Je sens mon cœur se serrer mais je prends enfin la parole :
— On vous aime, mais on s’étouffe. Il faut trouver une solution.

Le silence s’installe. Les enfants nous regardent avec des yeux ronds.

Après une longue discussion, Julien finit par accepter d’appeler un ami pour les héberger temporairement. Ils partiront dans deux jours.

Quand la porte se referme derrière eux ce vendredi soir-là, je m’effondre dans les bras de François. La maison semble soudain immense et silencieuse.

Mais au fond de moi, je me demande : pourquoi ai-je attendu si longtemps pour défendre mon espace ? Est-ce égoïste de vouloir préserver son couple et son intimité ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?