Quand ma belle-mère a envahi mon univers : le combat pour ma place

— Tu comptes vraiment mettre ce pull pour sortir ?

La voix de Monique résonne dans le couloir, tranchante comme une lame. Je serre les dents. Paul, mon mari, est déjà parti travailler. Il ne reste que moi, elle, et ce silence pesant qui s’installe chaque matin depuis qu’elle a emménagé chez nous, il y a trois semaines. Trois semaines qui m’ont paru une éternité.

Je m’appelle Claire. J’ai trente-deux ans, je travaille dans une petite librairie du 6ème arrondissement de Lyon. Avant, mon appartement était mon refuge. Maintenant, chaque pièce me rappelle que je ne suis plus chez moi. Monique est partout : dans la cuisine à commenter mes choix alimentaires, dans le salon à déplacer mes livres, dans la salle de bain à critiquer mes produits de beauté.

— Tu sais, Paul préférait quand tu faisais des lasagnes maison. Celles du supermarché, ce n’est pas pareil…

Je ravale ma réponse. Je me répète que ce n’est que temporaire. Monique a perdu son mari il y a deux mois. Paul n’a pas eu le cœur de la laisser seule dans sa grande maison vide à Villeurbanne. Mais personne ne m’a demandé mon avis.

Le soir, Paul rentre fatigué. Il embrasse sa mère sur la joue, me sourit timidement. Je sens qu’il marche sur des œufs lui aussi. Mais il ne dit rien quand elle s’incruste dans notre chambre pour nous raconter ses insomnies ou quand elle critique la façon dont je plie le linge.

Un soir, alors que je prépare le dîner, Monique entre dans la cuisine sans frapper.

— Tu sais, Claire, quand j’avais ton âge, je savais déjà tenir une maison. Paul n’a jamais manqué de rien avec moi.

Je laisse tomber la cuillère dans la casserole. Je me retourne, les mains tremblantes.

— Je fais de mon mieux, Monique. Ce n’est pas facile pour moi non plus.

Elle me regarde comme si j’étais une enfant capricieuse. Je sens les larmes monter mais je refuse de pleurer devant elle.

La nuit suivante, je dors mal. Je me tourne et me retourne en pensant à tout ce que j’ai perdu : mon intimité, mes habitudes, la complicité avec Paul. J’ai l’impression d’étouffer.

Le lendemain matin, alors que Paul est encore là, je prends mon courage à deux mains.

— Paul, il faut qu’on parle.

Il me regarde, inquiet.

— Je n’en peux plus… Ta mère est partout. Je n’ai plus d’espace pour respirer.

Il soupire.

— Je sais… Mais elle est fragile en ce moment. Tu pourrais faire un effort.

Un effort ? J’ai envie de hurler. Mais je ravale ma colère. Je sens que si je ne fais rien, je vais me perdre.

La semaine suivante, Monique décide de réorganiser la bibliothèque du salon « pour que ce soit plus harmonieux ». Mes livres préférés disparaissent des étagères. Je les retrouve empilés dans un carton au fond du couloir.

C’est la goutte d’eau. Le soir même, j’attends que Paul rentre et je l’entraîne sur le balcon.

— Il faut qu’on fixe des règles. Je ne peux pas continuer comme ça. J’ai besoin de retrouver un peu de moi-même ici.

Paul hésite mais finit par acquiescer. Nous décidons d’instaurer des moments rien qu’à nous : un dîner par semaine sans Monique, des espaces qui lui sont interdits (notre chambre et mon coin lecture), et surtout, une discussion franche avec elle.

Le lendemain matin, je prends une grande inspiration et frappe à la porte de la chambre de Monique.

— Monique… Il faut qu’on parle toutes les deux.

Elle me regarde d’un air méfiant.

— Je comprends que ce soit difficile pour vous… Mais ici, c’est aussi chez moi. J’ai besoin qu’on se respecte mutuellement. J’aimerais que vous ne déplaciez plus mes affaires et que vous respectiez notre intimité avec Paul.

Elle se renfrogne mais ne dit rien. Pendant quelques jours, l’ambiance est glaciale. Mais peu à peu, elle commence à reculer : elle ne vient plus dans notre chambre sans frapper, elle me laisse choisir les menus du dîner.

Un soir, alors que je lis dans le salon, elle s’approche timidement.

— Tu lis quoi ?

Je lui tends le livre. Elle s’assoit à côté de moi. Pour la première fois depuis son arrivée, nous parlons sans nous juger.

Ce n’est pas parfait. Il y a encore des tensions, des maladresses. Mais j’ai compris une chose : si je ne pose pas mes limites, personne ne le fera à ma place.

Aujourd’hui, je me demande : combien d’entre vous ont déjà vécu cette invasion silencieuse ? Jusqu’où peut-on aller pour préserver son couple sans se perdre soi-même ?