Quand tout s’effondre : L’histoire de Claire et son fils Julien

— Tu exagères, Claire. Tu dramatises tout, comme d’habitude !

La voix de ma sœur, Hélène, résonne encore dans la cuisine, froide et tranchante. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans cette maison devenue glaciale. Dehors, la pluie martèle les vitres du pavillon de banlieue où j’ai élevé Julien seule depuis que son père nous a quittés. Mais ce soir-là, c’est l’orage à l’intérieur qui me déchire.

Julien a seize ans. Il y a trois mois, il s’est effondré au lycée. Diagnostic : leucémie aiguë. Le mot claque dans ma tête comme une gifle chaque fois que je le prononce. Depuis, tout s’est effondré autour de moi. Ma mère, si présente autrefois, ne vient plus. Elle dit que « c’est trop dur » pour elle. Mon frère, Paul, n’a pas le temps : « Entre le boulot et les enfants, tu comprends… » Même Hélène, ma confidente, s’est éloignée, fatiguée par mes appels à l’aide.

— Tu dois accepter, Claire. On ne peut pas tout porter pour toi.

Accepter ? Comment accepter l’inacceptable ? Comment supporter d’être seule face à la souffrance de mon fils ?

Julien ne parle plus beaucoup. Il passe ses journées à regarder les gouttes de pluie couler sur la fenêtre de sa chambre d’hôpital à l’Hôpital Saint-Antoine. Les médecins sont gentils mais distants, noyés dans leur routine. Je dors sur une chaise pliante, je mange des sandwichs froids, je vis dans la peur permanente d’un appel nocturne.

Un soir, alors que je rentre épuisée de l’hôpital, je trouve une lettre sur la table du salon. C’est une convocation du lycée : « Absences répétées de Julien – risque d’exclusion ». Je ris nerveusement. Exclure un enfant malade ? Je compose le numéro du proviseur.

— Madame Laurent ? Ici Claire Dubois, la mère de Julien… Oui, je sais qu’il manque les cours… Non, il n’est pas en vacances… Il lutte pour sa vie !

Ma voix se brise. Je raccroche en larmes. Où sont-ils tous ? Où est cette famille qui promettait d’être là « quoi qu’il arrive » ?

Un dimanche matin, je tente une dernière fois d’appeler ma mère.

— Maman… J’ai besoin de toi. Julien demande après toi.
— Je ne peux pas venir, Claire. Je n’ai pas la force…

Je raccroche sans un mot. La solitude me serre la gorge comme un étau. Je me surprends à envier les familles dans la salle d’attente de l’hôpital : ces parents qui se relaient, ces grands-mères qui apportent des gâteaux faits maison… Moi, je n’ai plus personne.

Un jour, alors que Julien dort après une chimio particulièrement éprouvante, j’entends des éclats de voix dans le couloir.

— C’est la mère de Julien Dubois… Elle est toujours là, elle ne lâche rien.

Je reconnais la voix de l’infirmière Sophie. Elle me sourit quand j’ouvre la porte.

— Vous êtes courageuse, madame Dubois.

Courageuse ? Je ne me sens pas courageuse. Juste épuisée et terrifiée.

Les semaines passent. Les fêtes approchent. Noël sans famille, sans sapin ni cadeaux. Juste un plateau-repas à l’hôpital et la main de Julien dans la mienne.

Un soir de décembre, alors que je rentre chez moi pour prendre quelques affaires, je trouve Hélène sur le pas de ma porte.

— Je suis désolée, Claire… Je ne savais pas comment t’aider.

Je m’effondre dans ses bras. Les mots sortent enfin : la colère, la tristesse, la peur. Hélène pleure avec moi. Elle promet d’être là désormais.

Petit à petit, quelques proches reviennent. Ma mère envoie une carte avec un dessin maladroit : « Pour mon petit-fils adoré ». Paul propose de garder la maison pendant mes absences. Ce n’est pas grand-chose mais c’est un début.

Julien entame une rémission fragile. Il sourit à nouveau parfois. Nous parlons de l’avenir – timidement. Mais rien ne sera plus jamais comme avant.

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi tant de gens fuient-ils face à la maladie ? Pourquoi le malheur fait-il si peur ? Est-ce que j’aurais agi différemment à leur place ?

Et vous… auriez-vous eu le courage de rester ?