Mon gendre, ce justicier incontrôlable : chronique d’un chaos familial
« Encore ?! » Ma voix tremble alors que je découvre Thomas, mon gendre, assis dans la cuisine, le visage fermé. Camille, ma fille, serre sa tasse de café si fort que ses jointures blanchissent. Le silence est lourd, presque étouffant. Je sens la colère monter en moi, mais aussi une tristesse profonde.
« Il n’avait pas le droit de me parler comme ça ! » s’exclame Thomas soudainement, brisant le silence. Sa voix résonne dans la pièce. « Je ne vais pas me laisser marcher dessus par un patron qui exploite ses employés ! »
Je ferme les yeux. C’est la cinquième fois cette année. Cinq emplois perdus pour des histoires de « justice », de « principe », de « respect ». Mais à chaque fois, c’est Camille qui pleure dans mes bras le soir, c’est moi qui l’aide à payer le loyer ou à remplir le frigo.
Je me souviens du premier dîner où Camille nous a présenté Thomas. Il avait ce regard intense, cette façon de parler des injustices du monde qui m’avait presque séduite. Mais aujourd’hui, ce même regard me glace. Il ne voit plus les dégâts qu’il cause autour de lui.
« Tu crois que c’est facile pour moi ? » lance Camille d’une voix étranglée. « J’en peux plus de déménager tous les trois mois parce que tu te fais virer ! »
Thomas se lève brusquement. « Tu préfères quoi ? Que je ferme ma gueule comme tout le monde ? Que je laisse passer les humiliations ? »
Je sens mon cœur se serrer. Je voudrais lui dire qu’en France, on a tous connu des chefs injustes, des collègues désagréables. Mais on apprend à composer, à choisir ses batailles. Thomas, lui, fonce tête baissée dans chaque conflit.
La semaine dernière encore, il s’est disputé avec la caissière du Carrefour parce qu’elle avait oublié de lui rendre un centime. « C’est une question de principe ! » avait-il crié devant tout le monde, humiliant la pauvre femme qui n’en pouvait plus de sa journée.
Camille s’effondre en larmes. Je m’approche d’elle et la serre contre moi. « Ma chérie… »
Thomas sort en claquant la porte. Le silence retombe, pesant. Je repense à mon propre père, ouvrier à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt. Lui aussi avait ses colères, mais il savait les ravaler pour nourrir sa famille.
Le soir venu, Thomas rentre tard. Je l’entends discuter avec Camille dans leur chambre.
— Tu ne comprends pas… J’ai grandi avec un père qui se taisait toujours devant l’injustice. Moi je peux pas.
— Mais tu penses à moi ? À nous ? On va faire comment pour payer le loyer ce mois-ci ?
Le lendemain matin, je trouve Thomas assis sur le balcon, une cigarette à la main. Il a l’air épuisé.
« Françoise… Je sais que tu penses que je suis un poids pour Camille », murmure-t-il sans me regarder.
Je m’assois à côté de lui. « Ce n’est pas ce que je pense… Mais tu dois comprendre que ta façon de te battre contre tout le monde nous met en danger. »
Il soupire. « J’ai essayé de me taire… Mais ça me ronge. Quand je vois une injustice, c’est plus fort que moi… »
Je repense à toutes ces familles françaises qui galèrent déjà à joindre les deux bouts sans avoir à gérer un justicier imprévisible à la maison. Je pense à mes petits-enfants qui risquent de grandir dans l’instabilité.
Quelques jours plus tard, Camille m’annonce qu’ils vont devoir quitter leur appartement. Encore une fois. Elle a les yeux rouges, la voix cassée.
« Maman… Je ne sais plus quoi faire… Je l’aime mais je n’en peux plus… »
Je voudrais lui dire de partir, de penser à elle d’abord. Mais je sais que l’amour ne se commande pas.
Le soir même, Thomas rentre avec un sourire étrange. « J’ai trouvé un nouveau boulot ! Chez un traiteur du quartier ! »
Camille esquisse un sourire fatigué. Moi aussi.
Mais au fond de moi, je sais que ce n’est qu’une question de temps avant qu’un nouveau conflit n’éclate.
Quelques semaines passent. Un dimanche matin, alors que nous prenons le petit-déjeuner tous ensemble, Thomas reçoit un appel. Il blêmit.
« Ils m’ont viré… Parce que j’ai refusé de servir un client qui insultait la serveuse… »
Camille éclate en sanglots.
Je regarde Thomas et je me demande : jusqu’où ira-t-il au nom de sa justice ? Peut-on aimer quelqu’un qui détruit tout autour de lui par excès d’intégrité ? Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour défendre vos principes ?