De la Forêt à la Salle de Classe : Le Parcours de Baptiste, l’Enfant Sauvage
« T’es qui, toi ? Le Tarzan du 77 ? »
La voix de Clément résonne dans le couloir du collège, tranchante comme une lame. Je serre mon sac contre moi, mes doigts tremblent. Les autres rient. Je sens leurs regards me transpercer, curieux et cruels. Je voudrais disparaître, retourner sous les arbres, là où personne ne jugeait mes habits usés ou mes cheveux en bataille.
Je m’appelle Baptiste. Jusqu’à mes onze ans, j’ai vécu avec ma mère dans une cabane en bois, au cœur de la forêt de Fontainebleau. Elle disait que la nature était notre vraie maison, que les hommes avaient oublié comment écouter le vent et parler aux arbres. J’aimais cette vie sauvage, même si parfois j’avais faim ou froid. Mais tout a changé le jour où les services sociaux sont venus.
« Baptiste, tu dois comprendre… Ce n’est pas une vie pour un enfant. »
C’était une femme aux cheveux gris, douce mais ferme. Ma mère a pleuré. Moi aussi. On m’a arraché à la forêt, à mon monde, pour me déposer dans un appartement gris à Paris chez ma tante Sylvie, une femme que je connaissais à peine.
Le premier matin dans la capitale, j’ai eu du mal à respirer. L’air sentait l’essence et le béton. Ma tante m’a tendu un bol de céréales.
— Tu verras, Baptiste, ici tu vas te faire des amis.
Mais comment se faire des amis quand on ne sait pas parler leur langue ? Quand on ne connaît ni les codes ni les marques ?
Au collège, tout le monde me regardait comme une bête curieuse. Les profs étaient gentils mais maladroits. « Tu dois rattraper ton retard, Baptiste. » Comme si on pouvait rattraper des années passées à grimper aux arbres plutôt qu’à apprendre les maths.
Clément et sa bande ont vite flairé ma différence. Ils m’ont surnommé « l’enfant sauvage ». Chaque jour, ils inventaient de nouveaux jeux pour me ridiculiser : cacher mes affaires, imiter mes gestes maladroits, raconter que je mangeais des vers.
Un soir, je suis rentré chez ma tante avec un œil au beurre noir. Elle a voulu appeler le principal.
— Non ! S’il te plaît…
Je ne voulais pas qu’on parle de moi encore plus. Je voulais juste qu’on m’oublie.
Mais il y avait Camille. Elle était assise au fond de la classe, discrète, toujours plongée dans ses livres. Un jour, elle m’a tendu un dessin : un loup sous la lune.
— Je trouve que tu ressembles à lui. Solitaire mais fort.
C’était la première fois que quelqu’un voyait autre chose que ma différence. Petit à petit, elle m’a apprivoisé. Elle m’a appris à comprendre les codes du collège : comment répondre aux moqueries sans s’énerver, comment rire de soi-même avant que les autres ne le fassent.
Un jour, Clément a voulu me pousser dans les escaliers. J’ai senti la colère monter en moi comme une tempête. Mais j’ai pensé à Camille, à sa voix douce : « Ne leur donne pas ce pouvoir sur toi. » Alors je me suis redressé et j’ai dit :
— Tu sais quoi ? Tu devrais essayer de grimper aux arbres un jour. Ça t’apprendrait le respect.
Les autres ont ri, mais cette fois ce n’était pas contre moi. Clément a rougi et s’est éloigné.
À partir de ce jour-là, quelque chose a changé. On ne me regardait plus comme une bête curieuse mais comme quelqu’un d’unique. Certains sont venus me parler, intrigués par mes histoires de forêt. J’ai commencé à organiser des sorties nature pour ma classe dans le parc Montsouris. Même Clément a fini par venir.
Ma tante Sylvie m’a serré dans ses bras le soir où j’ai reçu mon premier 15 en français.
— Tu vois, Baptiste, tu as trouvé ta place.
Mais parfois, la nuit, je rêve encore des arbres et du silence de la forêt. Je me demande si je suis devenu trop civilisé ou si j’ai simplement appris à survivre dans une autre jungle.
Aujourd’hui, je marche dans les couloirs du collège sans baisser les yeux. Je sais que ma différence est ma force.
Mais dites-moi… Est-ce qu’on doit vraiment renoncer à une partie de soi pour être accepté ? Ou bien est-ce notre singularité qui finit par inspirer les autres ?