Deux fois par an, j’envoie de l’argent à mon petit-fils : mais de lui, pas un mot
« Paul, tu pourrais au moins envoyer un message à ta grand-mère ! » La voix de ma fille, Claire, résonne dans le couloir alors que je tiens le combiné du téléphone, la main tremblante. J’entends au loin la réponse de Paul, étouffée, indifférente : « Oui, oui, je verrai… »
Je raccroche, le cœur serré. Deux fois par an, à Noël et à la rentrée, j’envoie à chacun de mes petits-enfants un virement. Ce n’est pas une fortune, mais c’est ma façon de leur dire que je pense à eux. Les jumelles, Camille et Juliette, m’appellent toujours dans la journée. Elles rient, me racontent ce qu’elles vont s’acheter : un livre, un pull, parfois même un billet de train pour venir me voir à Tours. Mais Paul… Paul ne répond jamais. Pas un appel. Pas un SMS. Pas même un mail.
Je me souviens encore du jour où il est né. J’étais la première à le prendre dans mes bras à la maternité de l’hôpital Bretonneau. Il avait les yeux grands ouverts, déjà curieux du monde. Je lui ai chanté des berceuses, gardé ses secrets d’enfant, consolé ses chagrins d’école. Et maintenant ? Il a vingt ans et je ne suis plus qu’une ligne sur son relevé bancaire.
Ce soir-là, j’ouvre la boîte en fer où je garde les lettres et dessins de mes petits-enfants. Les pages colorées des filles débordent d’affection : « Mamie, tu es la meilleure ! » Mais du côté de Paul, tout s’arrête à ses douze ans. Depuis le collège, plus rien. Je relis sa dernière carte : « Merci Mamie pour le livre. Je t’aime fort. »
Je me demande où j’ai failli. Est-ce la distance ? Il vit à Lyon pour ses études d’ingénieur. Peut-être est-il trop occupé ? Ou bien a-t-il honte de recevoir de l’argent ?
Le lendemain, je décide d’en parler à Claire. Nous nous retrouvons au marché des Halles. Entre deux étals de fromages et de pommes, je lance : « Tu crois que Paul m’en veut ? » Claire soupire : « Maman, il n’est pas très démonstratif… Il vit dans son monde. Mais il t’aime, j’en suis sûre. »
Je sens pourtant une gêne dans sa voix. Je n’ose pas insister. Mais le soir venu, je prends mon courage à deux mains et j’appelle Paul directement.
— Allô ?
— Paul… c’est Mamie.
— Ah… salut Mamie.
— Je voulais juste savoir si tu avais reçu mon virement.
— Oui oui, merci.
— Tu vas bien ?
— Oui… Je suis en partiels là.
— D’accord… Bon courage alors.
Il raccroche presque aussitôt. Je reste là, le téléphone collé à l’oreille vide. J’ai l’impression d’avoir dérangé.
Les jours passent et je ressens une colère sourde monter en moi. Pourquoi fait-il tant d’efforts pour ignorer mes gestes ? Est-ce que les garçons sont moins sensibles ? Ou est-ce moi qui attends trop ?
Un dimanche, lors d’un déjeuner familial chez Claire, je décide d’aborder le sujet devant tout le monde. Les filles rougissent quand je les félicite pour leur gentillesse. Paul garde les yeux rivés sur son assiette.
— Paul, tu sais que ça me ferait plaisir un petit message quand tu reçois mon cadeau…
Il hausse les épaules :
— J’ai pas trop le temps avec les cours… Et puis c’est normal non ?
Camille intervient :
— Mais ça prend deux minutes !
Paul soupire :
— Vous comprenez pas… On n’a pas besoin de se dire merci tout le temps.
Un silence pesant s’installe. Claire tente de détendre l’atmosphère en servant la tarte aux pommes.
Après le repas, Juliette vient me voir dans la cuisine :
— Mamie, Paul il est bizarre depuis qu’il est parti à Lyon… Il parle presque plus à personne.
Je sens une tristesse profonde m’envahir. Ce n’est donc pas seulement avec moi qu’il s’est éloigné.
Le soir même, je décide d’écrire une lettre à Paul. Pas pour lui faire des reproches, mais pour lui dire ce que je ressens.
« Mon cher Paul,
Je voulais simplement te dire que je pense souvent à toi. L’argent que je t’envoie n’est qu’un prétexte pour garder le lien entre nous. J’aimerais tant avoir de tes nouvelles plus souvent, même un simple message me ferait plaisir. Je t’embrasse fort.
Mamie »
Je poste la lettre le lendemain matin. Les jours passent sans réponse. Puis un soir, alors que je regarde les infos sur France 2, mon téléphone vibre :
« Salut Mamie. Merci pour ta lettre et pour l’argent aussi. Désolé si je ne donne pas souvent de nouvelles… C’est compliqué en ce moment mais je pense à toi. Bisous. Paul »
Je relis son message plusieurs fois. Ce n’est pas grand-chose mais c’est déjà beaucoup pour moi.
Depuis ce jour-là, il m’écrit parfois quelques mots après mes virements. Ce n’est pas la grande effusion mais c’est un début.
Parfois je me demande : est-ce que notre société pousse les jeunes à s’éloigner des anciens ? Est-ce que l’amour familial se mesure encore en mots ou seulement en gestes silencieux ? Qu’en pensez-vous vous-mêmes ?