Le Silence de Timothée : Quand l’École Ignore la Détresse
— Monsieur Lefèvre, il faut venir tout de suite. Timothée a perdu connaissance en classe. Il s’est blessé à la tête.
La voix tremblante de la secrétaire résonne encore dans ma tête. Je lâche tout au bureau, je cours, le cœur battant, traversant les rues de Nantes sous une pluie glaciale. J’arrive au collège Victor Hugo, essoufflé, la peur au ventre. Dans l’infirmerie, mon fils est là, pâle comme un linge, un pansement sur le front. Il me regarde avec des yeux humides, cherchant du réconfort.
— Papa…
Je m’agenouille à côté de lui, lui prends la main. Je sens sa détresse, son corps tremblant. Je connais ses malaises vagaux depuis qu’il est petit. Je lui ai appris à s’asseoir ou à s’allonger dès qu’il sent le vertige monter. Mais là…
— Pourquoi tu n’as pas fait ce qu’on a répété ?
Il baisse les yeux. Un silence lourd s’installe. Puis il murmure :
— Madame Dubois ne voulait pas que je sorte… Elle disait que je faisais semblant pour éviter le contrôle.
Un éclair de colère me traverse. Comment une professeure peut-elle ignorer la détresse d’un enfant ? Je serre les poings. L’infirmière tente de me calmer :
— Il va bien maintenant, mais il faut surveiller la commotion.
Mais je ne peux pas me calmer. Je veux comprendre. Je veux des explications.
Dans le couloir, j’aperçois Madame Dubois, la professeure de mathématiques. Elle parle avec le principal, Monsieur Girard, l’air contrarié.
— Excusez-moi, mais vous vous rendez compte de ce qui vient d’arriver ?
Elle me regarde, agacée :
— Monsieur Lefèvre, votre fils a tendance à exagérer ses symptômes. Nous étions en pleine évaluation importante.
Je sens la rage monter.
— Exagérer ? Il s’est évanoui devant toute la classe ! Vous auriez pu éviter ça si vous aviez simplement écouté !
Le principal tente d’intervenir :
— Calmons-nous…
Mais je ne veux pas me calmer. Je pense à toutes ces fois où Timothée m’a dit qu’il avait peur de parler en classe, peur qu’on ne le croie pas. Je pense à cette société où l’on exige des enfants qu’ils soient forts, silencieux, obéissants.
Je me tourne vers Madame Dubois :
— Vous savez ce que c’est que d’avoir peur de s’évanouir ? De sentir son corps lâcher et de supplier qu’on vous laisse sortir ?
Elle détourne les yeux. Un silence gênant s’installe.
Le soir, à la maison, Timothée reste prostré sur le canapé. Ma femme, Claire, essaie de le réconforter.
— Tu sais, mon chéri, tu as bien fait d’essayer de demander…
Mais il secoue la tête :
— Ça ne sert à rien… Personne ne m’écoute jamais.
Je sens mon cœur se briser. Je repense à mon propre passé, à mon père qui me disait toujours : « Ne fais pas d’histoires à l’école ». Mais aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, c’est mon fils qui souffre du silence des adultes.
Le lendemain matin, je demande un rendez-vous avec le principal et la professeure. Je veux que Timothée soit entendu. Je veux que l’école comprenne que chaque élève est unique, que derrière chaque comportement il y a une histoire.
Dans le bureau du principal, l’atmosphère est tendue.
— Monsieur Lefèvre, nous comprenons votre inquiétude…
Je coupe net :
— Non, vous ne comprenez pas. Vous ne comprenez pas ce que c’est que d’avoir un enfant qui vit avec une maladie invisible. Vous ne comprenez pas ce que c’est que d’être ignoré quand on a besoin d’aide.
Madame Dubois baisse la tête. Pour la première fois, je vois une lueur de regret dans ses yeux.
— Je… Je suis désolée. Je n’ai pas mesuré la gravité de la situation.
Je respire profondément. Ce n’est pas seulement pour Timothée que je parle. C’est pour tous les enfants qui n’osent plus demander de l’aide parce qu’on les accuse de simuler.
Le principal promet une sensibilisation du personnel aux maladies invisibles et aux besoins particuliers des élèves. Mais je sais que rien n’effacera la peur de Timothée ce jour-là.
À la maison, je serre mon fils dans mes bras.
— Tu n’es pas seul, mon grand. On va se battre pour que ça n’arrive plus jamais.
Il me regarde avec un mélange d’espoir et de doute.
— Tu crois vraiment qu’ils vont changer ?
Je n’ai pas toutes les réponses. Mais je sais qu’il faut parler, dénoncer le silence et l’indifférence.
Et vous ? Combien d’enfants autour de vous souffrent en silence parce qu’on refuse de les croire ? Combien faudra-t-il d’accidents avant que l’on écoute enfin leur voix ?