Mon fils s’appelle Éloi, et alors ?

— Tu n’y penses pas, Camille ! Tu veux vraiment appeler ton fils Éloi ?

La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, ce matin-là, alors que je berce mon bébé dans mes bras. Il a à peine trois jours, et déjà son prénom divise. Je regarde ses petits doigts serrés autour de mon index, son souffle paisible, et je sens monter en moi une colère sourde. Pourquoi faudrait-il que je me justifie ?

Tout a commencé la veille, quand j’ai posté la première photo d’Éloi sur Instagram. Un cliché doux, la lumière dorée du matin caressant son visage endormi. J’avais écrit simplement : « Bienvenue au monde, Éloi. » Je croyais partager un moment de bonheur avec mes proches. Mais très vite, les notifications ont explosé. Des commentaires d’amis, de collègues, de parfaits inconnus.

« Éloi ? Sérieusement ? On dirait un nom du Moyen Âge ! »
« Pauvre gosse, il va se faire charrier à l’école… »
« Tu n’as pas pensé à lui ? »

Je lisais chaque message comme une gifle. Même ma cousine Sophie, d’habitude si bienveillante, y est allée de son petit mot : « Tu n’as pas peur qu’il t’en veuille plus tard ? »

J’ai posé mon téléphone, le cœur battant. Dans la pièce voisine, mon compagnon Julien préparait un biberon. Il a vu mon visage fermé.

— Ça ne va pas ?
— Les gens… ils jugent le prénom d’Éloi. Ils disent que c’est ridicule.

Julien a haussé les épaules.

— On s’en fiche, non ? C’est notre fils. C’est toi qui as choisi ce prénom parce qu’il te parlait. Tu te souviens ?

Bien sûr que je me souviens. Éloi, c’était le prénom de mon grand-père. Un homme discret, tendre, qui m’a appris à pêcher dans la rivière du Lot quand j’étais petite. Il est mort l’an dernier, et j’ai voulu lui rendre hommage. Mais comment expliquer ça à des gens qui ne voient qu’un mot étrange ?

Le soir même, j’ai reçu un message privé d’une ancienne camarade de lycée :

« Camille, tu fais ce que tu veux mais pense à ton enfant. Les prénoms bizarres, c’est dur à porter… »

J’ai failli répondre sèchement. Puis je me suis ravisée. J’ai pris une grande inspiration et j’ai écrit :

« Merci de t’inquiéter pour lui. Mais pour moi, Éloi n’est pas un prénom bizarre. C’est une histoire, une mémoire, un amour transmis. Je préfère qu’il porte un prénom qui a du sens plutôt qu’un prénom à la mode qui ne lui dira rien. »

J’ai hésité à publier ce message en public. Finalement, le lendemain matin, je l’ai fait. Sous la photo d’Éloi, j’ai ajouté :

« À tous ceux qui s’inquiètent pour lui : sachez qu’Éloi portera fièrement ce prénom chargé d’histoire et d’affection. Ce n’est pas l’originalité d’un nom qui fait la force d’un enfant, mais l’amour qu’on lui donne. »

Les réactions ont été immédiates. Certains ont continué à critiquer :

« C’est facile à dire maintenant… on verra dans dix ans ! »
« Tu fais ça pour te donner un genre… »

Mais d’autres voix se sont élevées pour me soutenir :

« Ma fille s’appelle Apolline et elle adore son prénom unique ! »
« Les prénoms anciens reviennent à la mode, tu as raison de suivre ton cœur ! »

Ma mère est revenue à la charge lors du déjeuner dominical.

— Camille, tu sais que je t’aime… mais tu aurais pu choisir Paul ou Lucas. C’est plus simple.
— Maman, tu m’as appelée Camille parce que tu trouvais ce prénom doux et rare à l’époque. Pourquoi moi je n’aurais pas le droit de choisir un prénom qui me touche ?

Elle a soupiré longuement.

— Je veux juste qu’il soit heureux.
— Il le sera si on l’accepte tel qu’il est.

Le silence s’est installé autour de la table. Mon père a coupé sa viande sans rien dire. Ma sœur a détourné les yeux.

Les jours ont passé et la polémique s’est calmée sur les réseaux sociaux. Mais au fond de moi, une blessure persistait. Pourquoi tant de violence pour un simple prénom ? Pourquoi cette obsession française du « qu’en-dira-t-on » ?

Un soir, alors que je donnais le bain à Éloi, j’ai repensé à toutes ces remarques. J’ai caressé ses cheveux mouillés et murmuré :

— Tu sais mon cœur, ton prénom est un cadeau. Peut-être qu’un jour tu m’en voudras… ou peut-être que tu comprendras.

Julien est entré dans la salle de bain avec un sourire fatigué.

— Tu fais ce qu’il faut, Camille. On ne peut pas plaire à tout le monde.
— Mais pourquoi les gens se sentent-ils obligés de juger ce qui ne les regarde pas ?
— Parce qu’ils ont peur de ce qui sort de l’ordinaire.

Cette nuit-là, j’ai rêvé de mon grand-père Éloi. Il me souriait au bord de la rivière et me disait : « Sois fière de tes choix, ma petite. » Je me suis réveillée en larmes mais apaisée.

Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Quand je croise des regards étonnés à la crèche ou que j’entends des chuchotements dans la rue. Mais je serre Éloi contre moi et je me répète : c’est notre histoire qui compte.

Et vous… avez-vous déjà eu à défendre vos choix face au regard des autres ? Est-ce vraiment si grave d’être différent dans une société qui aime tant la conformité ?