Le prix du rêve : Mon combat pour devenir mère en solo

— Tu es sûre de toi, Madeleine ? Tu sais ce que ça implique ?

La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tremblante d’inquiétude et d’incompréhension. Je serre la main de mon fils, Paul, dans le couloir froid de la clinique à Lyon. Il ne comprend pas tout, il n’a que cinq ans, mais il sent que quelque chose d’important se joue. Je respire profondément. Aujourd’hui, c’est le jour de la ponction ovocytaire. Aujourd’hui, je tente de donner une petite sœur à Paul, seule, contre vents et marées.

Je n’ai jamais rêvé du prince charmant. J’ai rêvé d’une famille. Petite, je regardais les familles nombreuses à la télévision, les rires autour de la table, les chamailleries dans le salon. Chez nous, c’était silence et tension. Mon père est parti quand j’avais huit ans. Ma mère s’est noyée dans le travail et les regrets. J’ai juré que mes enfants ne manqueraient jamais d’amour.

À 33 ans, après une rupture douloureuse avec Antoine — il ne voulait pas d’enfants — j’ai pris la décision qui allait bouleverser ma vie : devenir mère seule grâce à la PMA. En France, c’était encore compliqué. J’ai attendu la loi, j’ai patienté, j’ai économisé chaque centime de mon salaire de professeure des écoles. Paul est né en 2018, un petit miracle blond aux yeux rieurs.

Mais le manque s’est vite fait sentir. Paul me réclamait un frère ou une sœur. Moi aussi, je ressentais ce vide. Les nuits étaient longues, les questions me hantaient : « Suis-je égoïste ? Est-ce raisonnable ? »

J’ai consulté les cliniques en Espagne, car en France, la PMA pour les femmes seules venait à peine d’être autorisée et les délais étaient interminables. 52 000 euros. C’est ce que m’a coûté ce rêve : les traitements hormonaux, les voyages à Barcelone, les nuits d’hôtel, les analyses… J’ai vendu la vieille voiture de mon père, vidé mon PEL, renoncé aux vacances. Ma mère m’a traitée de folle :

— Tu vas finir ruinée ! Et si ça ne marche pas ?

Mon frère Pierre n’a pas été plus tendre :

— Tu penses à Paul ? Tu crois qu’il a besoin d’une sœur ou d’une mère présente ?

J’ai encaissé leurs reproches comme on encaisse un coup de poing dans le ventre. Mais je savais pourquoi je me battais.

À l’école, certains collègues me regardaient avec pitié ou suspicion.

— Tu n’as pas peur que tes enfants souffrent sans père ?

Je répondais par un sourire crispé. Ils ne voyaient pas nos soirées pyjama, nos fous rires devant « Le Roi Lion », nos câlins du matin.

La PMA est un parcours du combattant. Les piqûres quotidiennes dans le ventre, la fatigue qui vous écrase, l’attente interminable des résultats… Et puis il y a la solitude. Personne pour vous tenir la main dans la salle d’attente glaciale. Personne pour partager l’espoir ou la déception.

Un soir de décembre, après une énième tentative ratée, j’ai craqué devant Paul.

— Maman est triste…

Il m’a serrée fort dans ses bras :

— C’est pas grave maman, on est déjà deux.

J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Mais j’ai continué. Pour lui. Pour moi. Pour celle qui n’était pas encore là mais que j’aimais déjà.

Et puis un matin de mars, le test a viré au rose. J’étais enceinte. J’ai hurlé de joie dans l’appartement vide. J’ai appelé ma mère qui a pleuré à son tour.

La grossesse a été difficile : nausées, fatigue extrême, angoisses financières… Mais chaque soir, Paul posait sa main sur mon ventre et murmurait :

— Bonjour petite sœur !

Le jour de l’accouchement, j’étais seule dans la chambre stérile de l’hôpital Édouard-Herriot. Ma mère gardait Paul à la maison. Quand j’ai entendu le premier cri d’Alice, j’ai su que tout avait un sens.

Aujourd’hui, Alice a six mois. Paul est un grand frère attentionné. Ma mère vient plus souvent ; elle a fini par comprendre que l’amour ne se divise pas, il se multiplie.

Je suis épuisée mais heureuse. Ruinée mais riche d’eux.

Parfois je me demande : ai-je eu raison de tout sacrifier pour ce rêve ? La société française est-elle prête à accepter des familles comme la mienne ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?