Entre Deux Feux : Quand Mon Mari Refuse de Voir Ma Mère

« Non, Camille, je n’irai pas cette fois. »

La voix de Paul résonne encore dans ma tête, froide, tranchante comme une lame. Je reste figée, la main sur la poignée de la porte, le manteau déjà enfilé. Je le regarde, incrédule. Depuis huit ans que nous sommes mariés, il n’a jamais refusé de m’accompagner chez ma mère à Boulogne-Billancourt. Même quand il traînait des pieds, il venait toujours. Mais ce soir, il ne bouge pas du canapé, les yeux rivés sur son téléphone.

« Tu plaisantes ? » Ma voix tremble un peu. Je sens la colère monter, mais aussi une peur sourde. Qu’est-ce qui se passe ?

Paul soupire, pose son portable et me regarde enfin. « Camille, j’en ai marre. À chaque fois qu’on va chez ta mère, c’est pareil : elle me fait sentir que je ne serai jamais assez bien pour toi. Elle critique tout, même la façon dont je coupe le fromage ! »

Je serre les dents. Oui, maman est exigeante. Oui, elle a ce don pour pointer du doigt ce qui ne va pas. Mais c’est ma mère ! Et puis, Paul exagère… non ?

Je repense à dimanche dernier. Maman avait fait son fameux gratin dauphinois et Paul avait osé demander du sel. Elle l’avait regardé comme s’il venait d’insulter toute la gastronomie française. « Chez nous, on goûte avant d’assaisonner », avait-elle lancé d’un ton sec. J’avais ri nerveusement, Paul avait rougi.

« Tu pourrais au moins faire un effort », je murmure.

Il se lève brusquement. « Un effort ? Mais c’est toujours moi qui dois faire des efforts ! Toi, tu ne dis jamais rien quand elle me rabaisse devant tout le monde. »

Je sens mes yeux piquer. Ce n’est pas vrai… Si ?

Paul continue : « Je t’aime, Camille, mais là, j’étouffe. J’ai besoin que tu me défendes un peu. »

Je reste là, plantée dans l’entrée, partagée entre deux mondes. D’un côté, maman : veuve depuis dix ans, forte et fragile à la fois, qui a tout sacrifié pour moi après le décès de papa. De l’autre côté, Paul : mon roc, mon complice, celui avec qui j’ai construit ma vie à Paris.

Je repense à mon enfance dans ce petit appartement de la rue Jean-Jaurès. Maman travaillait tard à la pharmacie du coin pour payer mes études. Elle voulait le meilleur pour moi. Peut-être qu’elle attend trop de Paul… Peut-être qu’elle attend trop de moi aussi.

Je décide d’y aller seule ce soir-là. Dans le métro, les lumières défilent et mes pensées s’embrouillent. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi est-ce si difficile de concilier ceux qu’on aime ?

Chez maman, l’ambiance est tendue dès mon arrivée.

« Où est Paul ? » demande-t-elle en posant la table.

« Il n’a pas pu venir », je mens.

Elle fronce les sourcils : « Il travaille trop, ce garçon… »

Je ravale mes mots. Je voudrais lui dire qu’elle va trop loin parfois, qu’elle pourrait être plus douce avec lui. Mais je n’ose pas. Je suis redevenue la petite fille qui veut juste que sa maman soit fière d’elle.

Le dîner se passe dans une atmosphère étrange. Maman parle beaucoup de ses douleurs au dos, de ses voisines bruyantes, du prix du beurre qui augmente encore à Carrefour. Je souris poliment mais mon esprit est ailleurs.

En rentrant tard dans la nuit, je trouve Paul endormi sur le canapé. Je m’assois à côté de lui et caresse doucement ses cheveux.

Le lendemain matin, il me regarde avec des yeux fatigués : « Tu sais… Je ne veux pas te mettre dans cette position. Mais j’ai besoin que tu comprennes ce que je ressens. »

Je prends sa main dans la mienne : « Je comprends… Mais c’est compliqué pour moi aussi. Maman a toujours été là pour moi… »

Il soupire : « Et moi alors ? »

Le silence s’installe entre nous comme un mur invisible.

Les jours passent et la tension ne retombe pas. Maman m’appelle tous les soirs pour prendre de mes nouvelles et glisse toujours une remarque sur Paul : « Il n’est pas malade au moins ? Il ne m’aime pas beaucoup on dirait… »

Un soir, alors que je prépare le dîner, Paul entre dans la cuisine : « Camille… On ne peut pas continuer comme ça. Il faut qu’on parle à ta mère ensemble. »

Mon cœur bat la chamade. L’idée me terrifie mais il a raison.

Le dimanche suivant, nous prenons la voiture pour Boulogne-Billancourt. Le trajet se fait en silence. Arrivés chez maman, je sens sa surprise en voyant Paul sur le palier.

Il prend une grande inspiration : « Madame Martin… J’aimerais vous parler franchement. »

Maman le regarde avec ses yeux perçants : « Je vous écoute. »

Paul se lance : « Je sais que je ne suis pas parfait… Mais j’aime votre fille et j’essaie de faire de mon mieux. J’aimerais juste que vous me laissiez une chance… sans me juger à chaque instant. »

Un silence lourd s’installe. Je retiens mon souffle.

Maman baisse les yeux : « Vous savez… Ce n’est pas facile pour moi non plus. Depuis que Camille est partie vivre avec vous… Je me sens seule parfois. Peut-être que je suis trop dure… »

Je sens les larmes monter.

Paul s’approche d’elle : « On pourrait essayer de repartir sur de bonnes bases ? »

Maman hoche la tête timidement.

Ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, nous avons ri tous les trois autour d’un gâteau au chocolat un peu trop cuit.

Mais au fond de moi subsiste une question : pourquoi est-ce si difficile d’aimer sans blesser ceux qu’on aime ? Est-ce possible de réconcilier nos familles sans se perdre soi-même ? Qu’en pensez-vous ?