Entre Deux Toits : Mon Mari, Sa Mère et Moi

« Tu ne comprends pas, Camille ! Maman a besoin de moi ! »

La voix de Julien résonne encore dans la cuisine, tranchante, presque suppliante. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans ce matin glacial de février à Lyon. Dehors, la ville s’éveille lentement, mais ici, dans cet appartement trop petit pour trois, le temps semble figé dans une tension insoutenable.

Depuis deux ans, je partage ma vie avec Julien… et sa mère, Monique. Quand nous nous sommes mariés à la mairie du 6ème arrondissement, j’imaginais un avenir simple : un petit chez-nous, des rires complices, des projets à deux. Mais très vite, la réalité m’a rattrapée. Monique a perdu son mari il y a cinq ans et n’a jamais vraiment accepté l’idée que son fils puisse vivre sans elle. Elle occupe la chambre d’amis, mais c’est son ombre qui plane sur chaque pièce.

« Tu pourrais au moins essayer de comprendre ce que je ressens ! » ai-je lancé à Julien la veille au soir, la voix brisée par la fatigue. Il a baissé les yeux, incapable de soutenir mon regard. Toujours cette même fuite, cette incapacité à choisir.

Les disputes sont devenues notre quotidien. Monique s’immisce dans tout : nos repas, nos conversations, nos projets. Elle critique ma façon de cuisiner (« Chez nous, on ne met pas autant d’ail dans le gratin ! »), surveille mes allées et venues (« Tu rentres bien tard ce soir… »), et s’invite même dans notre intimité (« Julien, tu as pensé à prendre tes vitamines ? » alors que nous venons à peine de nous réveiller).

Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres, j’ai tenté une dernière fois d’ouvrir le dialogue avec Julien.

— Julien, tu ne vois pas que je souffre ? On ne peut pas continuer comme ça…
— Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Maman n’a plus personne !
— Et moi ? Je compte pour qui ?

Il n’a rien répondu. Le silence a envahi la pièce. J’ai senti mon cœur se fissurer un peu plus.

Je me suis confiée à ma sœur, Élodie. Elle m’a prise dans ses bras :

— Camille, tu ne peux pas porter tout ça toute seule. Il faut qu’il comprenne que tu existes aussi.

Mais comment faire comprendre à un homme qu’il doit couper le cordon ? En France, on parle souvent du « syndrome Tanguy », ces adultes qui restent chez leurs parents ou qui n’arrivent pas à s’en détacher. Mais on parle moins des femmes qui subissent cette situation.

Les mois ont passé. J’ai essayé d’instaurer des règles : des soirées rien qu’à deux, des moments où Monique devait sortir ou rester dans sa chambre. Mais Julien trouvait toujours une excuse pour l’inclure.

Un dimanche midi, alors que je préparais un poulet rôti pour nous deux (j’avais expressément demandé à Monique de déjeuner chez une amie), elle est rentrée plus tôt que prévu.

— Oh, vous êtes là… Je croyais que j’étais invitée aussi !

Julien s’est levé d’un bond :

— Bien sûr maman, installe-toi !

J’ai vu rouge. J’ai claqué la porte de la cuisine et j’ai pleuré en silence.

La solitude est devenue mon unique compagne. Je me suis réfugiée dans mon travail à l’hôpital, multipliant les gardes pour éviter l’appartement. Mais chaque retour était un supplice : Monique sur le canapé, Julien absorbé par ses jeux vidéo ou ses discussions avec elle.

Un soir, j’ai trouvé le courage d’écrire une lettre à Julien. Je lui ai tout dit : ma douleur, mon sentiment d’invisibilité, mon besoin d’être sa priorité. Il a lu la lettre sans un mot. Puis il m’a regardée :

— Je t’aime Camille… mais je ne peux pas abandonner maman.

Ce soir-là, j’ai dormi chez Élodie. Le lendemain matin, j’ai croisé Monique dans le couloir.

— Tu sais Camille… Les femmes passent, mais une mère reste toujours.

Ses mots m’ont transpercée comme une lame glacée.

Aujourd’hui, je suis assise sur un banc du parc de la Tête d’Or. Je regarde les familles passer, les enfants courir après les pigeons. Je me demande où est passée la femme pleine d’espoir que j’étais il y a deux ans.

Dois-je continuer à me battre pour un homme qui ne sait pas choisir ? Ou dois-je enfin penser à moi ?

Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à supporter l’absence de soutien de l’être aimé ?