Toute ma vie, ma mère m’a dit que mon père était un ange. Puis, il a frappé à ma porte.
— Ariane ?
La voix grave résonne derrière la porte. Mon cœur s’arrête. Il est 19h, je viens à peine de rentrer de la médiathèque où je travaille à Lyon. Je n’attends personne. Je regarde par le judas : un homme, la cinquantaine, les cheveux poivre et sel, les yeux clairs, une cicatrice sur la joue gauche. Il tient un vieux sac en cuir. Je n’ouvre pas tout de suite.
— Qui êtes-vous ?
Il hésite, baisse les yeux. « Je m’appelle Luc. Je… je suis ton père. »
Je ris nerveusement. C’est une blague ? Mon père est mort avant ma naissance, c’est ce que maman m’a toujours dit. Un ange, disait-elle. Un homme bon, parti trop tôt dans un accident de voiture. Je me souviens de ses mots : « Il veille sur toi, Ariane. »
Mais l’homme insiste. « Je sais que c’est difficile à croire… Mais j’ai des preuves. » Il sort une vieille photo : une femme jeune, enceinte, souriante. Ma mère. À côté d’elle, ce même homme, plus jeune, sans cicatrice.
Je tremble en ouvrant la porte. Il entre, maladroitement, s’assied sur le canapé comme s’il avait peur de salir quelque chose. Le silence est lourd.
— Pourquoi maintenant ?
Il soupire. « J’ai essayé de te retrouver pendant des années. Ta mère… elle ne voulait pas que je fasse partie de ta vie. »
Je sens la colère monter. Maman ? Capable de ça ? Elle qui m’a élevée seule, qui a tout sacrifié pour moi… Mais aussi si secrète, si pudique sur son passé.
— Elle disait que tu étais mort.
Luc baisse la tête. « J’ai eu des problèmes… J’étais jeune, instable. J’ai fait des erreurs. Mais je ne suis jamais mort, Ariane. »
Je me lève brusquement. Tout tourne dans ma tête : les anniversaires sans père, les fêtes des pères à l’école où je dessinais des anges au lieu de visages humains…
— Tu veux quoi ? Que je te pardonne ? Que je t’accueille comme si de rien n’était ?
Il secoue la tête, les yeux humides.
— Non… Je voulais juste te voir une fois. Te dire la vérité. Et peut-être… apprendre à te connaître.
Je repense à toutes ces années où j’ai idéalisé un fantôme. Où j’ai cru que mon père était parfait parce qu’il n’existait pas vraiment.
La nuit tombe sur Lyon. Je prépare du thé machinalement, mes mains tremblent. Luc regarde autour de lui : mes livres, mes photos avec maman à la plage de Palavas-les-Flots, mes carnets de dessins.
— Tu ressembles à ta mère… mais tu as mon regard.
Je détourne les yeux.
— Pourquoi tu es parti ?
Il hésite longtemps.
— J’étais paumé… J’ai fait de la prison pour un vol idiot avec des copains. Quand je suis sorti, ta mère avait déménagé, changé de numéro… Elle voulait te protéger de moi, je suppose.
Un silence glacial s’installe.
— Elle t’a protégée ou elle t’a menti ?
Je ne sais plus quoi penser. Maman m’a élevée dans l’amour mais aussi dans le mensonge.
Le lendemain matin, je prends le train pour Montpellier où vit ma mère. Dans le compartiment, je relis les messages que je n’ose pas lui envoyer : « Pourquoi tu m’as menti ? » « Qui est vraiment mon père ? »
Chez elle, je claque la porte plus fort que d’habitude.
— Maman ! Dis-moi la vérité !
Elle pâlit en voyant la photo que Luc m’a donnée.
— Il t’a retrouvée…
Sa voix tremble. Elle s’assied lourdement sur le canapé.
— J’avais peur pour toi, Ariane. Il était instable, dangereux parfois… J’ai voulu te donner une enfance sans peur.
Je crie :
— Mais tu m’as volé mon histoire ! Tu as fait de moi une orpheline alors que j’avais un père !
Elle pleure en silence.
— Je suis désolée… J’ai cru bien faire.
Je sors furieuse, désemparée. Dans la rue, le soleil tape fort mais j’ai froid à l’intérieur.
Les jours passent. Luc m’envoie un message : « Je comprends si tu ne veux plus me voir. Mais je reste là si tu changes d’avis. »
Je ne réponds pas tout de suite. Je parle avec mon amie Camille :
— Tu ferais quoi à ma place ?
Elle hausse les épaules :
— On n’a qu’un père… Même imparfait.
Un soir, je décide d’aller voir Luc dans son petit appartement du quartier de la Guillotière. Il me montre des photos de lui jeune, des lettres jamais envoyées à ma mère.
— Je ne peux pas rattraper le passé… Mais je veux être là maintenant si tu veux bien.
Je pleure enfin, longtemps, dans ses bras maladroits mais sincères.
Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je peux lui pardonner ni pardonner à ma mère. Mais j’essaie d’avancer avec ces deux vérités contradictoires : l’amour et le mensonge peuvent coexister dans une famille.
Est-ce qu’on peut vraiment connaître ses parents ? Est-ce qu’on peut aimer malgré tout ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?