Héritage, chats et tempête sous notre toit : le choix de Claire
— Tu ne comprends donc pas, François ? Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de sens !
La voix de Claire tremble, mais son regard est déterminé. Je serre la lettre du notaire entre mes doigts, la somme inscrite dessus me brûle les yeux : 480 000 euros. De quoi rembourser notre crédit, assurer l’avenir de nos enfants, peut-être même acheter cette petite maison à la campagne dont nous rêvions. Mais Claire, elle, ne rêve que de chats.
— Un café à chats ? Tu veux vraiment investir tout cet argent là-dedans ?
Elle soupire, lasse de mes objections. Depuis trois semaines, notre appartement lyonnais résonne de disputes et de silences lourds. Nos enfants, Camille et Lucas, évitent la cuisine quand nous y sommes tous les deux. Je me sens trahi, mis à l’écart de ce projet fou qui va bouleverser notre vie.
Je me revois, vingt ans plus tôt, tomber amoureux de Claire sur les bancs de la fac. Elle était déjà différente : spontanée, passionnée par la littérature et les animaux. Mais la vie nous avait appris à être prudents. Nous avions traversé la crise de 2008, les galères de fin de mois, les sacrifices pour offrir le meilleur à nos enfants. Et voilà que tout ce que nous avions construit vacille parce qu’elle veut « répandre la joie » avec des chats errants et des cappuccinos.
Un soir, alors que je rentre tard du travail, j’entends Claire parler au téléphone dans le salon.
— Oui, Madame Dupuis, je comprends vos inquiétudes… Non, les chats seront vaccinés et suivis par un vétérinaire… Oui, je vous assure que l’hygiène sera irréprochable…
Je m’arrête sur le seuil. Elle raccroche et me regarde, épuisée.
— Les voisins sont déjà contre ?
— Certains pensent que ça va attirer les nuisibles ou que ça va sentir mauvais…
— Tu vois bien que ce n’est pas raisonnable.
Elle s’effondre sur le canapé. Pour la première fois depuis des semaines, je vois ses mains trembler.
— J’ai besoin que tu me soutiennes, François. J’ai besoin que tu croies en moi.
Je reste muet. Je pense à mon père qui a trimé toute sa vie pour acheter son pavillon à Villeurbanne. À ma mère qui disait toujours : « L’argent ne tombe pas du ciel, il faut le faire fructifier. » Et moi ? Suis-je devenu ce mari frileux qui tue les rêves ?
Les jours passent et le projet avance malgré tout. Claire rencontre des architectes, visite des locaux dans le 7e arrondissement. Elle passe ses soirées sur des forums pour futurs entrepreneurs et regarde des vidéos de cafés à chats à Paris ou Bordeaux. Je la vois s’animer comme jamais depuis des années. Mais je sens aussi la distance grandir entre nous.
Un samedi matin, Camille explose :
— Vous allez divorcer à cause des chats ou quoi ?
Lucas éclate en sanglots. Je prends conscience que notre famille est en train d’imploser.
Je décide alors d’accompagner Claire lors d’une visite d’un local rue Chevreul. Le propriétaire, Monsieur Lefèvre, est sceptique.
— Un café à chats ? Vous savez que ça demande une autorisation spéciale ? Et puis il y a les normes sanitaires…
Claire répond avec assurance, mais je vois son sourire se fissurer.
Sur le chemin du retour, elle murmure :
— Peut-être que j’ai eu tort… Peut-être que je suis égoïste.
Je m’arrête au milieu du trottoir.
— Non, Claire. Tu n’es pas égoïste. Tu es courageuse. Mais on doit être une équipe.
Ce soir-là, nous parlons jusqu’à l’aube. Pour la première fois depuis longtemps, nous partageons nos peurs : la peur de manquer d’argent, la peur d’échouer devant nos enfants et nos amis, la peur de ne plus se reconnaître l’un l’autre.
Finalement, nous décidons ensemble : Claire investira une partie de l’héritage dans son café à chats — mais pas tout. Le reste servira à sécuriser notre avenir et celui des enfants. Nous irons voir un conseiller financier pour établir un plan solide.
Le jour de l’ouverture du « Chat Perché », je serre la main de Claire devant la vitrine décorée de guirlandes et de dessins d’enfants du quartier. Les premiers clients entrent timidement ; certains reviennent déjà avec leurs amis quelques jours plus tard. Les rires résonnent entre les miaulements et l’odeur du café chaud.
Notre famille n’est pas parfaite. Il y a encore des disputes, des doutes et des fins de mois difficiles. Mais il y a aussi cette fierté nouvelle dans les yeux de Claire — et dans ceux de nos enfants qui viennent parfois aider après l’école.
Parfois je me demande : qu’aurais-je fait si j’avais refusé ce rêve ? Est-ce qu’on peut vraiment mettre un prix sur le bonheur ? Et vous, jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour soutenir le rêve insensé de quelqu’un qu’on aime ?