Quand l’Amour Déménage : Ma Voisine, Ma Femme, Mon Enfer

« Tu pourrais au moins débarrasser la table, non ? »

La voix de Camille claque dans la cuisine comme un coup de fouet. Je serre les dents, les mains tremblantes autour de mon verre d’eau. Encore une soirée qui s’annonce tendue. Il y a deux ans, jamais je n’aurais imaginé que celle qui frappait timidement à ma porte pour demander un peu de sucre deviendrait la tempête qui secoue chaque recoin de mon appartement.

Tout a commencé un soir d’hiver, rue des Lilas, à Nantes. Camille, ma voisine du dessus, débarquait souvent chez moi, affamée, prétextant avoir oublié de faire les courses. Je la trouvais touchante, maladroite, un peu paumée. On riait ensemble, on partageait des pâtes au beurre et des confidences sur nos galères respectives. Elle sortait d’une rupture difficile, moi d’un licenciement brutal. On s’est soutenus, puis aimés.

Mais depuis qu’elle a emménagé chez moi – chez nous – tout a changé. Les petits travers sont devenus des montagnes infranchissables. Camille ne supporte plus mes silences, mes habitudes, ma façon de ranger les courses ou de plier le linge. Elle critique tout : « Tu ne sais pas écouter », « Tu passes trop de temps sur ton téléphone », « Tu ne fais jamais attention à moi ».

Ce soir-là, je tente de désamorcer la dispute :

— Camille, je suis fatigué… On peut en parler demain ?

Elle soupire bruyamment, croise les bras :

— C’est toujours pareil avec toi ! Tu fuis dès qu’il faut discuter. Tu crois que ça va s’arranger tout seul ?

Je sens la colère monter en moi. Je voudrais crier, tout casser, mais je me retiens. Je repense à nos débuts, à ses yeux brillants quand elle riait à mes blagues nulles, à ses mains froides cherchant les miennes sous la table. Où est passée cette complicité ?

Le lendemain matin, je me lève tôt pour éviter le face-à-face. Je file acheter des croissants à la boulangerie du coin. La boulangère, Madame Lefèvre, me lance un sourire compatissant :

— Ça va, Julien ? Vous avez l’air soucieux…

Je bredouille un « oui » peu convaincant. Même les commerçants du quartier sentent que quelque chose cloche.

En rentrant, Camille est déjà debout, assise sur le canapé en pyjama. Elle fixe son téléphone sans me regarder.

— J’ai réfléchi cette nuit, dit-elle soudain. On ne peut pas continuer comme ça.

Mon cœur rate un battement.

— Tu veux qu’on se sépare ?

Elle secoue la tête :

— Non… Mais il faut qu’on change quelque chose. J’étouffe ici. J’ai l’impression d’être une étrangère dans ma propre maison.

Je m’assois en face d’elle. Je sens mes yeux s’embuer.

— Moi aussi je me sens perdu…

On reste là, silencieux, deux étrangers réunis par le hasard d’un palier et séparés par des murs invisibles.

Les jours passent et la tension ne retombe pas. Ma mère m’appelle :

— Alors, comment va la vie à deux ?

Je mens :

— Tout va bien, maman.

Mais elle devine :

— Tu sais, ton père et moi aussi on a traversé des tempêtes… Il faut parler, même quand ça fait mal.

Je raccroche en me sentant encore plus seul.

Un soir, alors que je rentre tard du travail – j’ai repris un poste dans une petite agence immobilière – je trouve Camille en train de pleurer dans la cuisine. Elle tient une lettre froissée dans ses mains.

— C’est ma mère… Elle veut que je rentre à Rennes quelques jours. Elle dit que j’ai changé, que je ne suis plus moi-même.

Je m’approche doucement :

— Tu veux y aller ?

Elle hoche la tête sans me regarder.

Le lendemain matin, elle fait sa valise. Je l’aide sans rien dire. Quand elle claque la porte derrière elle, un vide immense s’installe dans l’appartement.

Les jours suivants sont étranges. Je redécouvre le silence, la solitude. Je repense à tous ces petits moments où j’aurais pu faire différemment : écouter au lieu de fuir, parler au lieu de ruminer.

Camille m’envoie des messages brefs : « Ça va », « Je réfléchis ». Je réponds sans trop savoir quoi dire.

Un soir, elle m’appelle enfin :

— Julien… Est-ce qu’on peut essayer autrement ? Peut-être une thérapie de couple ? Ou juste… recommencer à se parler vraiment ?

J’accepte sans hésiter. On se retrouve quelques jours plus tard dans le cabinet d’une psychologue du centre-ville. Les premières séances sont douloureuses. On crie, on pleure, on se reproche mille choses. Mais peu à peu, on réapprend à s’écouter.

Un dimanche matin pluvieux, Camille me prend la main :

— Tu te souviens de ce soir où je t’ai demandé du sucre ?

Je souris tristement :

— Oui… C’était plus simple avant.

Elle pose sa tête sur mon épaule :

— Peut-être qu’on peut retrouver un peu de cette simplicité… Si on arrête d’attendre que l’autre devine tout.

Aujourd’hui encore, rien n’est parfait. On se dispute toujours pour des broutilles – le linge mal plié, les courses oubliées – mais on essaie de ne plus laisser ces détails nous éloigner.

Parfois je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’aimer au quotidien ? Est-ce qu’on peut vraiment changer pour l’autre sans se perdre soi-même ? Qu’en pensez-vous ?