Entre Deux Feux : Quand Mon Mari Me Demande de Pardonner à Ma Mère
« Camille, tu ne peux pas continuer comme ça. Il faut que tu lui parles. »
La voix de Julien résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Il ne comprend pas. Personne ne comprend. Ma mère, ce n’est pas juste une histoire de dispute banale. C’est une blessure qui ne cicatrise pas.
Je me lève brusquement, faisant tinter la porcelaine sur la table. « Tu crois que c’est si simple ? Tu crois que je peux oublier tout ce qu’elle m’a fait ? »
Julien soupire, fatigué. « Camille, ça fait trois ans que tu refuses de lui parler. On va avoir un enfant, tu veux vraiment qu’il grandisse sans connaître sa grand-mère ? »
Un enfant. Notre premier. Je pose instinctivement la main sur mon ventre à peine arrondi. La peur me serre la gorge. Est-ce que je veux vraiment transmettre cette haine, ce silence empoisonné ?
Mais comment expliquer à Julien ce que c’est d’avoir grandi avec une mère comme la mienne ? Une femme froide, exigeante, qui n’a jamais su dire « je t’aime » sans conditions. Je revois les soirs d’hiver dans notre appartement HLM de Lyon, les cris, les reproches, les portes qui claquent. Le jour où elle m’a traitée de « ratée » parce que j’avais choisi les Beaux-Arts au lieu de médecine. Le jour où elle a refusé de venir à mon mariage.
Je me souviens de cette scène comme si c’était hier. La salle des fêtes décorée de pivoines blanches, mon père gêné qui marmonne des excuses devant l’absence de maman. Les regards compatissants des tantes, les chuchotements : « Elle n’a pas changé… »
Julien s’approche doucement et pose sa main sur mon épaule. « Je sais que c’est dur… Mais elle reste ta mère. »
Je me dégage, la colère montant en moi comme une vague noire. « Arrête ! Tu ne sais rien ! Tu n’as jamais eu à supplier pour un peu d’affection ! »
Il recule, blessé. Je le vois dans ses yeux : il ne comprend pas pourquoi je m’accroche à cette rancune. Pour lui, la famille c’est sacré, on se dispute mais on se pardonne toujours. Chez lui, à Annecy, les repas du dimanche sont bruyants et chaleureux, les disputes se terminent autour d’un bon gratin dauphinois.
Chez moi, le silence est une arme.
Le soir venu, je m’enferme dans la salle de bains et laisse couler l’eau brûlante sur mon visage. Je pense à mon père, à sa gentillesse maladroite, à sa façon de détourner le regard quand maman s’énervait contre moi. Il m’a appelée la semaine dernière : « Tu sais, ta mère n’est pas bien en ce moment… Elle parle souvent de toi… »
Mais pourquoi c’est toujours à moi de faire le premier pas ? Pourquoi c’est toujours aux enfants de pardonner aux parents ?
Le lendemain matin, je trouve Julien assis sur le canapé, le visage fermé. Il tient une lettre dans ses mains.
« C’est ta mère », dit-il simplement en me tendant l’enveloppe.
Je la prends du bout des doigts. L’écriture est reconnaissable entre mille : droite, sèche, sans fioritures. Je l’ouvre avec appréhension.
« Camille,
Je sais que tu m’en veux encore. Je ne suis pas douée pour dire les choses mais sache que je pense à toi chaque jour. J’aimerais te voir avant que tu deviennes maman à ton tour.
Maman »
Je relis ces quelques lignes encore et encore. Une partie de moi voudrait tout jeter au feu ; l’autre sent une larme couler sur sa joue.
Julien s’approche : « Tu devrais lui répondre… »
Je secoue la tête. « Et si elle recommence ? Et si elle me fait du mal encore une fois ? »
Il prend ma main dans la sienne : « Tu n’es plus seule maintenant. Je serai là. »
Les jours passent et l’angoisse me ronge. Je dors mal, je mange peu. Au travail, mes collègues sentent bien que quelque chose ne va pas mais je souris pour faire illusion.
Un soir, alors que je rentre tard du bureau, je trouve Julien en train de préparer le dîner. Il a invité son frère Thomas et sa femme Claire. La conversation tourne vite autour de la famille.
Thomas lance : « Tu sais Camille, moi aussi j’ai eu des soucis avec papa… Mais au final, on n’a qu’une famille… »
Je sens la colère monter mais je ravale mes mots. Personne ne comprend ce que j’ai vécu.
Après le repas, Claire me rejoint sur le balcon.
« Tu sais… Parfois il faut accepter qu’on ne guérira jamais complètement… Mais on peut choisir d’avancer malgré tout », murmure-t-elle.
Ses mots résonnent en moi toute la nuit.
Le lendemain matin, je prends une décision. J’appelle mon père.
« Papa… Est-ce que maman est là ? »
Un silence gênant puis sa voix tremblante : « Oui… Tu veux lui parler ? »
J’entends sa respiration au bout du fil puis la voix de ma mère, hésitante : « Camille ? »
Mon cœur bat à tout rompre.
« Maman… Je… Je vais avoir un bébé… »
Un sanglot étouffé lui échappe.
« Je sais… Je suis désolée pour tout… »
Les mots restent coincés dans ma gorge mais pour la première fois depuis des années, je sens un poids s’alléger.
Après cet appel maladroit mais sincère, je reste longtemps assise dans le salon, le téléphone serré contre moi.
Julien me rejoint et m’enlace sans un mot.
Est-ce le début d’une réconciliation ou juste une trêve fragile ? Est-ce qu’on peut vraiment pardonner sans oublier ?
Et vous… Auriez-vous eu le courage de tendre la main à quelqu’un qui vous a tant blessé ?