Ça fait si mal : Mes parents m’ont utilisé toute ma vie

« Tu ne comprends pas, Julien, c’est difficile pour nous ! » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme une lame. Mon père, assis en face de moi, baisse les yeux sur la table couverte de factures. Je serre la mâchoire, les poings crispés sur mes genoux. J’ai vingt-huit ans, un CDI dans une petite boîte d’informatique à Lyon, et pourtant, chaque mois, je verse une partie de mon salaire sur le compte de mes parents. Pas parce que je veux les aider, mais parce qu’ils me le demandent. Parce qu’ils me le réclament.

« Tu sais bien que la retraite de ton père ne suffit pas. Et moi, avec mes problèmes de dos… » Ma mère soupire, théâtrale. Je connais ce refrain par cœur. Depuis que j’ai commencé à travailler, ils n’ont cessé de me rappeler à quel point la vie est dure pour eux. Mais ce soir-là, quelque chose craque en moi.

« Et moi ? » Ma voix tremble. « Vous vous êtes déjà demandé comment je vais, moi ? »

Un silence glacial s’abat sur la pièce. Mon père relève enfin la tête. « Tu n’as pas d’enfant à nourrir, toi. Tu n’as pas de crédit sur le dos. »

Je me lève brusquement, la chaise grince sur le carrelage. « Mais j’ai une vie aussi ! J’aimerais pouvoir partir en vacances, mettre un peu d’argent de côté… »

Ma mère se lève à son tour, furieuse : « Tu es égoïste ! Après tout ce qu’on a fait pour toi ! »

Je sors de l’appartement en claquant la porte. Dans l’escalier, je sens les larmes monter. Je me revois adolescent, quand ils me demandaient déjà de travailler l’été pour payer mes fournitures scolaires. Je me revois étudiant à Lyon 2, obligé de cumuler les petits boulots pour ne pas être un poids pour eux. Et maintenant adulte, c’est encore à moi de porter leur fardeau.

Le lendemain matin, je retrouve mon amie Claire au café du coin. Elle m’écoute sans m’interrompre, les mains autour de sa tasse brûlante.

« Tu sais Julien… Ce n’est pas normal ce qu’ils te font vivre. »

Je baisse les yeux. « Mais ce sont mes parents… Je leur dois tout. »

Elle secoue la tête : « Non, tu ne leur dois pas tout. Tu as le droit d’exister pour toi-même. »

Ses mots me hantent toute la journée au bureau. Je repense à mon enfance à Villeurbanne : les disputes pour l’argent, les cadeaux d’anniversaire modestes mais toujours accompagnés d’un soupir sur le coût de la vie. Je repense à mon petit frère Lucas qui a fui à Bordeaux dès ses dix-huit ans et qui ne donne presque plus de nouvelles.

Le soir même, je reçois un SMS de ma mère : « On a besoin de 200 euros pour finir le mois. » Je sens la colère monter. Je tape une réponse sèche : « Je ne peux pas cette fois-ci. » J’efface le message avant de l’envoyer et reste là, paralysé.

Les jours passent et la tension monte. Ma mère m’appelle tous les soirs, me laisse des messages où elle pleure presque : « On ne sait plus comment faire… Si tu nous aimais vraiment… »

Un dimanche midi, je décide d’affronter mes parents. J’arrive chez eux avec une boule au ventre. Mon père regarde la télé, ma mère prépare le repas en silence.

« Il faut qu’on parle », dis-je d’une voix ferme.

Ma mère pose sa cuillère en bois et me fixe : « Encore une crise ? »

Je prends une grande inspiration : « Je ne peux plus continuer comme ça. J’ai besoin de penser à moi aussi. J’ai besoin d’air. »

Mon père hausse les épaules : « Tu crois que c’est facile pour nous ? On s’est sacrifiés toute notre vie pour toi et ton frère ! »

Je sens la colère monter : « Mais vous ne voyez pas que vous me faites du mal ? Que vous m’étouffez ? Lucas est parti parce qu’il n’en pouvait plus non plus ! »

Ma mère éclate en sanglots : « Tu veux nous abandonner comme lui ? »

Je reste debout, tremblant. « Non… Je veux juste vivre ma vie sans culpabilité. Je veux pouvoir respirer sans avoir peur du prochain appel où vous me demanderez encore de l’argent… »

Le repas se passe dans un silence pesant. En rentrant chez moi, je reçois un message de Lucas : « T’as eu le courage de leur dire ? Moi j’ai jamais réussi… »

Je lui réponds simplement : « Oui. Mais c’est dur. »

Les semaines suivantes sont tendues. Mes parents m’appellent moins souvent. Parfois je culpabilise, parfois je me sens soulagé. Claire m’encourage à voir un psy pour apprendre à poser des limites.

Un soir d’hiver, alors que je marche seul sur les quais du Rhône, je repense à tout ce que j’ai vécu. À cette loyauté qui m’a rongé pendant des années. À cette peur d’être un mauvais fils si je ne réponds pas à toutes leurs attentes.

Est-ce que c’est ça, aimer ses parents ? Se sacrifier jusqu’à s’oublier soi-même ? Ou bien ai-je le droit d’exister pour moi aussi ?

Et vous… Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour aider votre famille ?