Papa est revenu après vingt ans : Dois-je vraiment lui ouvrir ma porte ?

« Tu ne vas pas refuser d’aider ton père, quand même ? »

Sa voix résonne encore dans l’entrée de mon petit appartement à Lyon. Je serre la poignée de la porte, hésitant entre claquer la porte au nez de cet homme ou le laisser entrer. Vingt ans. Vingt ans sans un mot, sans un appel, sans même une carte postale pour mes anniversaires. Et voilà qu’il débarque, les cheveux grisonnants, le regard fuyant, une valise cabossée à la main.

« Camille… Je sais que c’est brutal. Mais j’ai vraiment besoin d’un endroit où dormir. »

Je me retiens de hurler. Ma mère m’a élevée seule, jonglant entre deux boulots pour payer le loyer et remplir le frigo. Les souvenirs de mon enfance sont remplis de ses larmes silencieuses et de ses sourires forcés pour ne pas m’inquiéter. Mon père ? Un fantôme. Un prénom sur mon acte de naissance. Rien de plus.

Il s’avance d’un pas, comme s’il était chez lui. Je recule instinctivement.

« Tu veux du café ? »

Ma voix tremble. Je ne sais même pas pourquoi je propose ça. Peut-être parce que je suis française et qu’on offre toujours quelque chose à boire, même à ceux qui nous ont brisé le cœur.

Il s’assoit maladroitement sur le canapé, observe les photos accrochées au mur : maman et moi à la plage de Palavas, mon diplôme de Sciences Po, la pendule héritée de ma grand-mère. Il ne fait pas partie de ces souvenirs.

« Tu as bien grandi… »

Je serre les dents. « J’ai grandi sans toi. »

Un silence lourd s’installe. Il tripote la fermeture de sa valise.

« Je sais que je n’ai pas été là. J’ai fait des erreurs… »

Je ris jaune. « Des erreurs ? Tu as disparu ! Tu as laissé maman se débrouiller seule ! Tu sais ce que c’est, d’expliquer à l’école pourquoi ton père ne vient jamais aux réunions ? D’inventer des histoires pour ne pas avoir l’air différente ? »

Il baisse la tête. Je vois ses mains trembler.

« Je n’ai nulle part où aller, Camille… J’ai perdu mon boulot, je dors dans ma voiture depuis trois semaines… »

Je sens la colère monter en moi, mais aussi une pointe de pitié. C’est absurde : il n’a jamais été là pour moi, et maintenant il attend que je le sauve ?

Je repense à toutes ces années où j’ai rêvé qu’il revienne, qu’il m’explique tout, qu’il me serre dans ses bras et me dise qu’il m’aime. Mais ce rêve s’est éteint il y a longtemps.

Mon téléphone vibre : un message de maman. « Bon anniversaire ma chérie ! Je t’aime fort. »

Je sens les larmes monter.

« Pourquoi maintenant ? Pourquoi tu reviens après tout ce temps ? »

Il soupire. « J’ai eu peur… Peur d’affronter ce que j’avais fait. Peur de ne pas être à la hauteur. Et puis la vie… J’ai cru que tu serais mieux sans moi. »

Je me lève brusquement.

« Tu crois que c’était facile ? Tu crois que j’avais besoin d’un père parfait ? J’aurais juste voulu que tu sois là ! »

Il se lève à son tour, tente de poser une main sur mon épaule. Je recule.

« Camille… Je ne demande pas pardon pour tout effacer. Je demande juste une chance… »

Je regarde autour de moi : mon appartement minuscule, mes factures sur la table basse, mes rêves d’indépendance enfin réalisés après tant d’efforts. Est-ce que je dois sacrifier tout ça pour un homme qui n’a jamais été là ?

Le soir tombe sur Lyon. Les lumières des quais du Rhône s’allument peu à peu. Je sens le poids du choix qui m’écrase.

Je repense à toutes les fois où j’ai vu des familles heureuses dans les parcs, des pères qui jouaient avec leurs enfants. J’ai appris à vivre sans lui, à me construire seule. Mais est-ce que je suis prête à lui ouvrir ma porte aujourd’hui ?

Il s’assoit à nouveau, la tête dans les mains.

« Si tu veux que je parte, je partirai… »

Je ferme les yeux. J’entends la voix de maman dans ma tête : « On ne choisit pas sa famille, mais on choisit ce qu’on en fait. »

Je prends une grande inspiration.

« Tu peux rester… Pour cette nuit seulement. Mais demain matin, on parlera sérieusement. Je ne te promets rien d’autre. »

Il relève la tête, les yeux humides.

« Merci Camille… Merci… »

Je me dirige vers la cuisine pour préparer un plateau-repas. Mon cœur bat trop fort dans ma poitrine. Est-ce que je fais bien ? Est-ce que je vais regretter ?

En posant le plateau devant lui, je murmure : « On verra bien si on peut recoller les morceaux… »

Et vous, à ma place, auriez-vous ouvert la porte ? Peut-on vraiment pardonner l’impardonnable ?