La Maison du Secret : Entre mon frère et ma femme, mon cœur vacille
« Tu savais, Antoine ? Dis-moi la vérité ! »
La voix de Camille résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, incapable de soutenir son regard. Dehors, la pluie martèle les vitres de notre maison à Nantes, comme pour souligner l’orage qui gronde à l’intérieur.
Tout a commencé il y a trois semaines, un dimanche matin ordinaire. Julien, mon frère cadet, est arrivé chez nous sans prévenir. Il avait ce regard fuyant, les traits tirés. Camille préparait des crêpes pour notre fille Lucie, et l’odeur sucrée flottait dans l’air. Julien s’est assis sans un mot, puis il a lâché : « J’ai besoin de rester ici quelques jours. »
Camille a hoché la tête, polie mais tendue. Depuis toujours, elle trouvait Julien instable, trop impulsif. Moi, je refusais de voir ses défauts. Après tout, c’est mon frère. On a grandi ensemble dans cette vieille maison de Saint-Nazaire, soudés par la disparition de notre mère quand j’avais dix ans et lui six. Notre père, ouvrier aux Chantiers Navals, n’a jamais su gérer sa peine. C’est moi qui ai veillé sur Julien.
Mais ce soir-là, alors que Camille me fixait avec ses yeux pleins de larmes et de colère, j’ai compris que je ne pouvais plus fuir la vérité.
« Tu savais qu’il avait volé cet argent ? »
Je baisse la tête. Oui, je savais. Julien m’avait tout avoué deux jours plus tôt : il avait détourné 5 000 euros à son boulot pour rembourser des dettes de jeu. Il m’avait supplié de ne rien dire à Camille, ni à personne. Il m’avait juré qu’il allait tout rendre avant que quelqu’un ne s’en rende compte.
Mais ce matin-là, la police est venue frapper à notre porte. Lucie a eu peur ; Camille était livide. Les policiers cherchaient Julien. Tout s’est effondré.
Camille m’a pris à part dans le salon :
— Antoine, tu savais quelque chose ? Dis-moi que tu n’étais pas au courant…
J’ai menti. J’ai dit non. Mais elle a vu clair dans mon jeu.
Depuis ce jour, notre maison est devenue un champ de bataille silencieux. Camille ne me parle plus que par nécessité. Lucie sent la tension et se réfugie dans sa chambre. Julien a disparu ; il s’est rendu à la police après m’avoir laissé un mot griffonné : « Pardon de t’avoir mis dans cette galère. »
Je me retrouve seul avec mes regrets.
Le soir, je repense à notre enfance. À ces étés passés chez notre grand-mère à Pornichet, aux parties de pêche sur le port. Julien était toujours celui qui prenait des risques, moi celui qui réparait les pots cassés. Mais aujourd’hui, c’est ma famille qui se brise.
Camille me reproche mon silence :
— Tu as choisi ton frère plutôt que nous !
Comment lui expliquer que je n’ai jamais voulu choisir ? Que je croyais protéger tout le monde en gardant le secret ?
Ma belle-famille me regarde désormais avec méfiance. Au travail, je sens les regards peser sur moi ; la nouvelle s’est répandue vite dans notre quartier tranquille. Même au marché du samedi matin, les commerçants semblent éviter mon regard.
Je me demande si j’aurais pu agir autrement. Si j’avais parlé plus tôt, Julien aurait-il pu éviter le pire ? Camille aurait-elle pu me pardonner ?
Un soir, alors que Lucie dort enfin après avoir pleuré dans mes bras, Camille s’assied en face de moi :
— Je t’aime encore, Antoine… mais je ne sais pas si je pourrai te refaire confiance.
Sa voix tremble. Je voudrais la prendre dans mes bras, mais elle se lève déjà pour aller se coucher seule.
Je reste là, dans le noir du salon, à écouter la pluie qui tombe sans fin sur le jardin.
Est-ce qu’on peut vraiment aimer deux personnes à la fois sans se perdre soi-même ? Est-ce qu’on peut réparer une famille brisée par un secret ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?