Sous les lampadaires de la rue Montmartre : une invitation inattendue
« Tu viens ? » La voix de Madeline résonne dans l’open space déserté, alors que je range machinalement mes dossiers. Je lève les yeux, surpris. D’habitude, à cette heure-ci, je file sans un mot, évitant les conversations inutiles. Mais ce soir, il y a dans sa voix une chaleur inattendue, presque une urgence.
« Une balade ? » je répète, hésitant. Elle sourit, son manteau déjà sur les épaules. « Oui, juste marcher un peu. J’ai besoin d’air. »
Je jette un regard à mon téléphone : aucun message de ma femme, Camille. Depuis des semaines, elle rentre tard, prétextant des réunions ou des dîners avec ses collègues. Notre appartement du 11e arrondissement est devenu silencieux, presque étranger. Je me sens comme un fantôme dans ma propre vie.
« D’accord », je souffle finalement. Nous descendons ensemble l’escalier du vieil immeuble haussmannien. Dehors, la pluie fine dessine des reflets dorés sur les pavés de la rue Montmartre.
Madeline marche vite, son sac battant contre sa hanche. « Tu sais, Gabriel, je ne connais encore personne ici. Paris me semble immense et froide parfois. »
Je hoche la tête. « On s’y habitue… ou pas. »
Un silence s’installe, mais il n’est pas gênant. Nous passons devant un café où des rires éclatent derrière les vitres embuées. Je ressens une pointe d’envie : quand ai-je ri ainsi pour la dernière fois ?
Madeline s’arrête soudain sous un lampadaire. « Tu as l’air triste », dit-elle doucement.
Je détourne les yeux. « C’est rien… Juste la fatigue. »
Elle insiste : « Tu sais, parfois on porte des masques au bureau. Mais moi, j’ai appris à reconnaître ceux qui souffrent en silence. »
Je sens ma gorge se serrer. Pourquoi cette inconnue lit-elle en moi si facilement ?
Nous reprenons la marche. Elle me raconte son arrivée à Paris depuis Lyon, la rupture douloureuse avec son ex-compagnon, la peur de recommencer à zéro. Je l’écoute, touché par sa sincérité.
« Et toi ? » demande-t-elle soudain. « Tu es heureux ? »
La question me frappe de plein fouet. Je bredouille : « Je… Je ne sais plus trop. Ma femme et moi… On s’éloigne. J’ai l’impression d’être transparent chez moi. »
Madeline pose une main sur mon bras. « Tu devrais lui parler. Parfois on croit protéger l’autre en se taisant, mais on ne fait qu’aggraver la distance. »
Nous arrivons au square Montholon. Les arbres dégoulinent de pluie, mais l’endroit est désert et paisible.
« Tu sais », murmure-t-elle, « tu n’es pas obligé de tout porter seul. »
Je sens mes défenses céder un instant. « J’ai peur qu’elle ne m’aime plus… Qu’elle ait trouvé quelqu’un d’autre », avoué-je dans un souffle.
Madeline me regarde longuement. « Et si tu essayais de lui dire ce que tu ressens vraiment ? »
Je ris nerveusement : « Les hommes ne sont pas doués pour ça… »
Elle sourit tristement : « C’est ce qu’on croit tous, mais c’est faux. »
Nous restons là quelques minutes sans parler, écoutant le bruit de la ville au loin.
« Merci », dis-je enfin.
Elle hausse les épaules : « Parfois il suffit d’une oreille attentive pour changer une soirée… ou une vie. »
Sur le chemin du retour, je sens une étrange légèreté m’envahir, mêlée à une peur sourde : et si cette conversation avait tout changé ?
En rentrant chez moi, Camille est déjà là, assise sur le canapé, l’air fatigué.
« Tu rentres tard », dit-elle sans me regarder.
Je prends une inspiration profonde : « Camille… Il faut qu’on parle. »
Elle relève enfin les yeux vers moi, et je comprends que tout commence maintenant.
Est-ce que j’aurai le courage d’être honnête ? Est-ce qu’on peut vraiment recoller les morceaux quand tout semble brisé ? Qu’en pensez-vous ?