Vingt Ans d’Amour, Puis le Silence : Choisir la Solitude Plutôt qu’un Second Mariage
« Tu vas vraiment rester seule toute ta vie, maman ? »
La voix de ma fille, Camille, résonne dans la cuisine. Elle a ce ton mi-moqueur, mi-inquiet qu’elle prend quand elle veut me provoquer. Je lève les yeux de mon bol de café, la regarde s’affairer autour du plan de travail. Elle a vingt ans, l’âge que j’avais quand j’ai épousé Joseph. L’âge où je croyais que l’amour pouvait tout réparer.
Je me souviens encore de ce jour de juin à la mairie de Tours. Ma robe blanche achetée chez Pronuptia, les mains moites de Joseph qui tremblaient plus que les miennes. Nos familles réunies, les rires, les promesses murmurées à l’oreille. « On sera toujours ensemble, Claire. »
Vingt ans plus tard, il est parti. Sans fracas, sans cris. Juste un sac posé dans l’entrée et cette phrase : « Je ne t’aime plus comme avant. »
Le choc a été silencieux. J’ai continué à préparer le dîner ce soir-là, à mettre la table pour trois alors que nous n’étions déjà plus que deux. Camille avait quinze ans. Elle a compris avant moi que quelque chose s’était brisé.
Les mois qui ont suivi ont été une longue traversée du désert. Les amis qui prennent parti, la famille qui murmure derrière les rideaux tirés : « On ne quitte pas une femme comme Claire… »
Mais Joseph était parti. Et moi, j’ai dû apprendre à vivre sans lui.
Un an plus tard, j’ai rencontré Marc au marché du samedi matin. Il vendait des fromages de chèvre, avait ce sourire franc et des mains abîmées par le travail. Il m’a invitée à boire un verre après le marché. J’ai accepté. J’avais besoin de sentir que je pouvais encore plaire, encore rire.
Marc était tout ce que Joseph n’était pas : spontané, bavard, un peu rustre parfois mais toujours sincère. Nous avons partagé des balades en forêt, des soirées à refaire le monde autour d’un verre de vin rouge. Camille l’aimait bien, même si elle me lançait parfois : « Tu vas te remarier alors ? »
Mais chaque fois que Marc parlait d’emménager ensemble ou d’officialiser notre relation, une angoisse sourde me serrait la gorge. Je repensais à la promesse de Joseph, à la trahison silencieuse qui avait suivi. Je n’arrivais plus à croire aux serments éternels.
Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres et que Marc me parlait d’acheter une maison à deux, j’ai éclaté :
— Je ne peux pas recommencer, Marc. Je ne veux plus me marier.
Il a baissé les yeux, pris ma main dans la sienne.
— Tu as peur ?
— Oui… Non… Je ne sais pas. J’ai peur de croire encore et d’être déçue. J’ai peur de perdre ce que j’ai réussi à reconstruire seule.
Marc est resté silencieux un long moment avant de dire :
— Tu sais, on n’est pas obligé de se marier pour être heureux.
Mais il est parti quelques semaines plus tard. Je crois qu’il espérait secrètement que je changerais d’avis.
Depuis, je vis seule avec Camille qui vient et repart selon ses études et ses amours naissantes. Les voisins me regardent parfois avec pitié ou curiosité. À la boulangerie du coin, Madame Lefèvre me glisse souvent : « Vous êtes encore jeune, Claire… Il faut tourner la page ! »
Mais tourner la page ne veut pas dire écrire une nouvelle histoire identique à la précédente.
J’ai appris à aimer mes soirées silencieuses, mes livres éparpillés sur le canapé, mes promenades solitaires sur les bords de Loire. J’ai renoué avec des amies perdues de vue depuis le lycée, je me suis inscrite à un atelier de poterie où je façonne maladroitement des bols tordus mais uniques.
Camille continue de me taquiner :
— Tu as peur de remettre une robe blanche ou quoi ?
Je ris avec elle mais au fond, ce n’est pas la robe qui me fait peur. C’est l’idée qu’on puisse tout perdre du jour au lendemain. C’est la fragilité des choses qu’on croyait acquises pour toujours.
Parfois je me demande si c’est égoïste de choisir la solitude alors qu’on pourrait aimer à nouveau. Mais est-ce vraiment un choix par défaut ? Ou bien une façon d’être fidèle à soi-même après avoir tant donné aux autres ?
Je regarde Camille grandir et je me dis que peut-être le vrai courage, c’est d’accepter d’être seule sans se sentir incomplète.
Et vous ? Faut-il forcément recommencer à aimer pour se sentir vivant ? Ou peut-on trouver le bonheur dans la paix retrouvée avec soi-même ?