Avancer : L’amère douceur de laisser partir
« Tu ne comprends donc pas, Antoine ? » Ma voix tremble, résonnant dans le petit salon de notre appartement du 11ème arrondissement. Il est presque minuit, la pluie tambourine contre les vitres, et je sens mon cœur battre à tout rompre. Antoine me regarde, les yeux rougis par la fatigue et l’incompréhension.
« Zoé, pourquoi tu veux tout gâcher ? On est bien, non ? »
Je détourne les yeux, incapable de soutenir son regard. Depuis des semaines, je sens ce poids sur ma poitrine, cette sensation d’étouffer dans une vie qui n’est plus vraiment la mienne. Pourtant, il y a trois ans, j’aurais tout donné pour ces moments partagés, ces soirées à refaire le monde autour d’un verre de vin, nos balades sur les quais de Seine, main dans la main.
Mais ce soir, tout me semble différent. Je me revois, il y a quelques heures à peine, assise dans le bureau de ma cheffe, Madame Lefèvre, qui m’annonce que j’ai été sélectionnée pour un poste à Lyon. Une promotion inespérée. Mon rêve depuis toujours : travailler dans l’édition, découvrir de nouveaux horizons, prouver à ma famille que je peux réussir par moi-même. Mais ce rêve a un prix.
Antoine n’a jamais voulu quitter Paris. Il aime sa routine, ses amis d’enfance, le café du coin où il lit Le Monde chaque matin. Il aime sa mère, qui habite à deux rues de chez nous et passe tous les dimanches avec sa tarte aux pommes. Moi aussi j’aime tout ça… mais je sens que je m’efface peu à peu.
« Tu penses vraiment que tu seras heureuse sans moi ? »
Sa question me transperce. Je voudrais lui dire que non, que je ne peux pas vivre sans lui. Mais ce serait mentir. Je me surprends à rêver d’une vie où je ne suis plus seulement « la copine d’Antoine », mais Zoé, tout court.
Je repense à ma mère, qui m’a toujours dit : « On ne construit pas son bonheur sur le sacrifice de soi-même. » Pourtant, elle-même a tout abandonné pour mon père, et je l’ai vue s’éteindre peu à peu dans une vie qui n’était pas la sienne.
Le lendemain matin, je me réveille seule. Antoine est parti tôt travailler. Sur la table basse, il a laissé un mot : « Je t’aime. » Je fonds en larmes. Je me sens coupable, égoïste, mais aussi étrangement soulagée.
Les jours passent et la tension grandit. Nous évitons le sujet du départ comme on évite une blessure trop douloureuse à toucher. Ma sœur Camille m’appelle tous les soirs :
« Tu ne peux pas continuer comme ça, Zoé. Tu dois penser à toi ! »
Mais penser à moi, c’est trahir Antoine. C’est trahir toutes ces années passées ensemble à rêver d’un avenir commun.
Un soir, alors que nous dînons en silence, Antoine pose sa fourchette et me regarde droit dans les yeux :
« Si tu pars… tu crois qu’on survivra ? »
Je sens mes mains trembler. Je voudrais lui promettre que oui, que l’amour est plus fort que la distance. Mais je sais que ce serait une promesse vide.
« Je ne sais pas… »
Il se lève brusquement et quitte la pièce. J’entends la porte claquer. Je reste seule avec mes doutes et mes regrets.
Quelques jours plus tard, je fais mes valises. Antoine ne parle presque plus. Sa mère passe pour dire au revoir ; elle me serre fort dans ses bras et murmure :
« Prends soin de toi, ma fille… »
Dans le train pour Lyon, je regarde défiler les paysages grisâtres de l’hiver parisien. Mon cœur se serre à chaque souvenir qui remonte : nos fous rires sous la pluie, nos disputes idiotes pour un rien, nos réconciliations passionnées.
À Lyon, tout est nouveau : le studio minuscule avec vue sur les toits rouges, les rues pavées du Vieux Lyon, les collègues qui m’accueillent avec chaleur mais restent des inconnus. Les premiers soirs sont terribles ; je pleure en silence sous ma couette en relisant les messages d’Antoine.
Il m’écrit souvent au début : « Tu me manques », « J’espère que tu vas bien ». Puis ses messages s’espacent. Un jour, il ne répond plus.
Je réalise alors que j’ai vraiment tout perdu… ou peut-être tout gagné ? Je commence à sortir seule, à rencontrer de nouvelles personnes. Je découvre une force en moi que j’ignorais. Je me surprends à sourire sans raison dans la rue.
Un dimanche matin, alors que je bois mon café sur le balcon en regardant le soleil se lever sur Fourvière, je pense à Antoine avec tendresse mais sans douleur. J’ai compris qu’aimer quelqu’un ne signifie pas toujours rester ensemble coûte que coûte.
Parfois, il faut savoir lâcher prise pour se retrouver soi-même.
Est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce qu’on peut vraiment être heureux sans renoncer à une part de soi ? Qu’en pensez-vous ?