Quatre murs, trop de rêves : Mon combat pour un foyer
— Tu crois qu’on va tenir encore longtemps comme ça ?
La voix de Julien résonne dans la minuscule cuisine, à peine plus grande qu’un placard. Je serre la tasse de café entre mes mains, espérant que la chaleur me réveille de ce cauchemar quotidien. Léo, notre fils, dort encore dans le coin du salon, son petit corps recroquevillé sur le canapé-lit qui grince à chaque mouvement.
Je me tourne vers Julien, la gorge serrée. « Je n’en sais rien… Mais on n’a pas le choix. »
C’est toujours la même rengaine. Depuis trois ans, nous vivons dans ce deux-pièces à Montreuil, coincés entre les murs qui semblent se rapprocher chaque jour un peu plus. Au début, je me disais que ce n’était que temporaire. Mais le temps passe, et rien ne change. Pire : l’injustice me ronge.
Tout a commencé le jour où la mère de Julien a décidé de donner le grand appartement familial à son frère, Thomas. Un quatre-pièces lumineux à Vincennes, avec une vue sur le parc. « Thomas en a plus besoin », avait-elle dit d’un ton sec, sans même croiser mon regard. J’ai senti la colère monter en moi, mais j’ai gardé le silence. Pour Julien. Pour Léo.
Depuis, chaque visite chez Thomas est un supplice. Sa femme, Sophie, nous accueille avec un sourire figé. Les enfants courent partout, rient aux éclats dans leur chambre spacieuse. Léo les regarde avec envie, ses yeux brillants d’un mélange d’admiration et de tristesse. Je détourne la tête pour cacher mes larmes.
Un soir, alors que nous rentrions chez nous sous la pluie battante, Julien a explosé :
— Pourquoi c’est toujours Thomas qui a tout ? Pourquoi ma mère ne nous a rien laissé ?
Je n’ai pas su quoi répondre. J’aurais voulu crier aussi, hurler cette injustice qui nous étouffe. Mais j’ai juste serré sa main.
Les disputes se sont multipliées. La promiscuité, le manque d’intimité… Tout devient prétexte à s’énerver. Un matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Julien a claqué la porte en partant au travail sans un mot. Léo m’a demandé :
— Maman, pourquoi papa est fâché ?
J’ai menti. J’ai dit qu’il était juste fatigué. Mais la vérité, c’est que nous sommes tous fatigués.
Le soir, quand Léo s’endort enfin, je m’assois près de la fenêtre et regarde les lumières de la ville. Je rêve d’un vrai chez-nous : une chambre pour Léo, un salon où l’on pourrait recevoir des amis sans avoir honte, une cuisine où je pourrais cuisiner sans marcher sur les jouets de mon fils.
Mais les loyers sont exorbitants. Nos salaires ne suffisent pas. J’ai essayé de parler à ma belle-mère, de lui expliquer notre situation. Elle m’a répondu froidement :
— Tu sais bien que Thomas a toujours eu besoin d’aide… Et puis vous êtes jeunes, vous avez le temps.
Le temps… Comme si attendre rendait la situation plus supportable.
Un dimanche matin, alors que nous étions tous les trois serrés sur le canapé, Léo a demandé :
— Maman, pourquoi on n’a pas une grande maison comme tonton Thomas ?
J’ai senti mon cœur se briser. Comment expliquer à un enfant de quatre ans l’injustice des adultes ?
Julien a baissé les yeux. Il s’est levé brusquement et est sorti fumer sur le balcon minuscule où il ne tient même pas debout.
Les semaines passent et rien ne change. Parfois, j’en veux à Julien de ne pas se battre plus fort pour nous. Parfois, je m’en veux à moi-même d’avoir accepté cette situation sans broncher.
Un soir d’automne, alors que la pluie tambourinait contre les vitres, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai dit à Julien :
— On ne peut plus continuer comme ça. Il faut qu’on trouve une solution.
Il m’a regardée longuement, les yeux fatigués mais pleins d’amour.
— Je sais… Mais quoi ? On n’a pas les moyens d’acheter ou même de louer plus grand.
J’ai proposé qu’on cherche un logement social. Julien a d’abord refusé par fierté. Mais après des semaines de discussions et de nuits blanches, il a accepté.
Nous avons entamé les démarches administratives : dossiers à remplir, justificatifs à fournir… L’attente est interminable. Chaque lettre qui arrive me fait espérer puis retomber dans la déception.
Pendant ce temps, Thomas invite toute la famille pour Noël dans son grand appartement décoré avec goût. Ma belle-mère félicite Sophie pour sa décoration et ignore ostensiblement notre malaise.
Après le repas, alors que tout le monde riait autour du sapin, j’ai surpris une conversation entre ma belle-mère et Thomas :
— Tu sais bien que Claire n’a jamais vraiment fait partie de la famille…
J’ai eu envie de hurler. Mais je suis restée digne. Pour Léo.
Ce soir-là, en rentrant chez nous sous la neige, j’ai pris une décision : je ne laisserai plus personne décider pour nous.
Aujourd’hui encore, nous vivons dans ce petit appartement. Mais quelque chose a changé en moi : je me bats chaque jour pour offrir un avenir meilleur à mon fils. J’ai repris des études à distance pour décrocher un meilleur emploi. Julien fait des heures supplémentaires malgré l’épuisement.
Parfois je me demande : combien de familles vivent comme nous, enfermées entre quatre murs trop étroits pour leurs rêves ? Est-ce qu’on finira par trouver notre place quelque part ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous pour offrir un vrai foyer à ceux que vous aimez ?