Bouquet de roses et parfum de trahison : Le jour où les fleurs ont brisé mon mariage

— Tu n’as même pas remarqué la carte, murmura Guillaume, la voix tremblante, alors que je fixais le bouquet de roses rouges posé sur la table du salon. Je sentais déjà la tension dans l’air, cette électricité sourde qui précède l’orage. J’avais oublié notre anniversaire. Ou plutôt, je l’avais relégué au second plan, noyée dans le quotidien, les enfants, le travail à la mairie de Tours, les courses, la fatigue. Mais ce matin-là, tout était différent.

Je pris la carte entre mes doigts. « À la femme de ma vie, pour toujours. » Les mots me brûlaient. Je levai les yeux vers Guillaume, qui me regardait avec une intensité inhabituelle. Il attendait quelque chose — un sourire, une larme, une preuve que j’étais touchée. Mais je ne ressentais rien. Ou plutôt, je ressentais trop : la lassitude, la colère rentrée, la peur de ce que nous étions devenus.

— Tu sais, commença-t-il d’une voix hésitante, j’ai l’impression qu’on ne se parle plus vraiment…

Je détournais le regard vers la fenêtre. Dehors, les enfants jouaient dans le jardin. J’aurais voulu être ailleurs, loin de cette cuisine où chaque objet semblait chargé de souvenirs et de regrets.

— On n’a pas le temps, Guillaume. On court tout le temps. Tu travailles tard, moi aussi…

Il posa sa main sur la mienne. Un geste familier, mais qui me parut soudain étranger.

— Ce n’est pas qu’une question de temps, Claire. C’est comme si tu n’étais plus là. Comme si tu étais déjà partie.

Je sentis mes yeux s’embuer. Il avait raison. Depuis des mois, je m’étais réfugiée dans le silence, dans les tâches ménagères, dans mon travail à la mairie. Je fuyais ses regards, ses questions, ses tentatives maladroites de raviver la flamme.

— Tu veux qu’on parle ? Très bien. Parlons.

Ma voix claqua dans l’air comme un fouet. Il sursauta.

— Pourquoi ces roses ? Tu sais que je préfère les pivoines. Tu ne m’écoutes même plus…

Il blêmit.

— Je voulais juste te faire plaisir…

— Non ! Tu voulais te donner bonne conscience ! Tu crois qu’un bouquet va effacer tout ce qu’on ne se dit plus ?

Le silence tomba entre nous, lourd et glacial. Les enfants riaient dehors sans se douter que leur monde était en train de vaciller.

Guillaume se leva brusquement et sortit dans le jardin. Je restai seule face aux fleurs rouges qui semblaient me narguer. Je repensai à nos débuts : nos promenades sur les bords de Loire, nos soirées à refaire le monde dans notre petit appartement du centre-ville… Où était passée cette complicité ?

Le soir venu, après avoir couché les enfants, Guillaume revint vers moi. Il tenait une lettre froissée dans sa main.

— Claire… Il faut que je te dise quelque chose.

Je sentis mon cœur s’arrêter.

— J’ai rencontré quelqu’un. Rien ne s’est passé entre nous… mais j’y ai pensé. Parce que je me sens seul. Parce que j’ai l’impression d’être invisible à tes yeux.

Je crus m’effondrer. Je voulais hurler, pleurer, le gifler peut-être… Mais je restai figée.

— Tu me détestes ? demanda-t-il d’une voix brisée.

Je secouai la tête. Non, je ne le détestais pas. J’étais en colère contre moi-même, contre lui, contre cette vie qui nous avait engloutis sans qu’on s’en rende compte.

— Et toi ? reprit-il après un long silence. Est-ce que tu m’aimes encore ?

Je ne savais pas quoi répondre. L’amour… Était-ce encore de l’amour ou simplement de l’habitude ?

Les jours suivants furent un enchaînement de disputes feutrées et de silences pesants. Ma mère m’appela :

— Claire, tu as l’air fatiguée… Tout va bien avec Guillaume ?

Je mentis comme d’habitude :

— Oui maman, tout va bien.

Mais rien n’allait plus. Même mes collègues à la mairie remarquaient mon air absent.

Un soir, alors que je rangeais les jouets des enfants dans le salon, ma fille Juliette me demanda :

— Maman, pourquoi tu pleures ?

Je lui souris faiblement et lui caressai les cheveux.

— Ce n’est rien ma chérie…

Mais c’était tout. C’était la fin d’un monde.

Guillaume et moi avons essayé la thérapie de couple. Nous avons parlé des non-dits, des blessures anciennes — son père absent, mes angoisses d’abandon — mais rien n’y faisait. Le fossé était trop profond.

Un matin d’automne, alors que les feuilles tombaient dans le jardin comme autant de souvenirs éparpillés, Guillaume fit ses valises.

— Je pars chez Paul quelques jours… Il faut qu’on réfléchisse chacun de notre côté.

Je n’ai pas pleuré. J’ai regardé les roses fanées sur la table du salon et j’ai compris que tout avait commencé avec elles — ou plutôt avec ce qu’elles révélaient : notre incapacité à nous parler vraiment.

Aujourd’hui encore, je me demande : comment deux personnes qui s’aimaient peuvent-elles se perdre ainsi ? Est-ce la routine qui tue l’amour ou notre peur d’affronter nos propres failles ? Peut-on vraiment reconstruire après tant de silences ? Qu’en pensez-vous ?