Entre Deux Mères : Mon Cœur Brisé Entre Devoir et Amour
— Tu ne vas quand même pas lui donner ce prénom ridicule, Élodie !
La voix de ma mère, Monique, résonne dans la petite chambre de la maternité, tranchante comme une lame. Je serre la main de Julien, mon mari, mais il la retire aussitôt, le visage fermé. Ma belle-mère, Françoise, assise près de la fenêtre, soupire bruyamment en fixant le berceau où dort mon fils, Paul. Je sens la sueur perler sur ma nuque. Je viens d’accoucher il y a à peine douze heures et déjà, la guerre des mères fait rage autour de moi.
— Paul est un prénom très bien, maman, je murmure, la gorge serrée.
— C’est un prénom banal ! Tu aurais pu choisir quelque chose de plus original, comme Clément ou Théo. Tu n’écoutes jamais mes conseils, Élodie !
Françoise intervient alors, d’un ton sec :
— De toute façon, c’est Julien qui aurait dû choisir. Chez nous, c’est la tradition.
Julien ne dit rien. Il regarde par la fenêtre, les bras croisés. Je sens que je vais pleurer, mais je me retiens. Je dois être forte. Pour Paul. Pour moi. Mais surtout pour eux, car c’est ce qu’on attend de moi depuis toujours : que je sois forte et que je fasse plaisir à tout le monde.
Les jours suivants sont un enchaînement de visites, de conseils non sollicités et de critiques à peine voilées. Ma mère s’incruste chez nous dès le matin pour « m’aider », mais elle passe son temps à tout commenter : « Tu devrais allaiter plus longtemps », « Tu ne sais pas tenir un bébé », « Tu vas finir par l’étouffer avec toutes ces couvertures ! »
Françoise débarque l’après-midi avec des petits pots faits maison et des vêtements tricotés main. Elle inspecte chaque recoin de notre appartement parisien, soulève les coussins du canapé à la recherche de poussière et me lance des regards désapprobateurs :
— Chez nous, on tient une maison propre même avec un nourrisson.
Julien s’éloigne de plus en plus. Il rentre tard du travail, prétextant des réunions interminables. Quand il est là, il ne parle presque pas. Parfois, il s’énerve pour un rien :
— Tu pourrais faire un effort pour t’habiller un peu mieux… On dirait que tu as abandonné.
Je me regarde dans le miroir : cernes profondes, cheveux en bataille, pyjama taché de lait. Ai-je vraiment abandonné ? Ou est-ce eux qui m’ont abandonnée ?
Un soir d’octobre, alors que Paul pleure sans discontinuer depuis des heures, je craque. Je m’effondre sur le sol de la cuisine, les mains sur les oreilles pour ne plus entendre ni les cris de mon fils ni ceux de mes deux mères qui s’engueulent dans le salon.
— Ce n’est pas normal qu’il pleure autant !
— C’est parce qu’Élodie ne sait pas s’y prendre !
— Arrêtez ! hurle Julien en claquant la porte derrière lui.
Je reste seule avec Paul dans mes bras. Je le berce en pleurant. Je me sens vide, inutile. J’ai l’impression d’être une mauvaise mère, une mauvaise fille, une mauvaise épouse.
Les semaines passent et la situation empire. Ma mère veut que je reprenne le travail rapidement pour « ne pas perdre pied ». Françoise insiste pour garder Paul chez elle à Versailles pendant que je travaille. Julien ne prend aucune décision ; il fuit les conflits comme toujours.
Un dimanche soir, alors que nous sommes tous réunis autour d’un dîner tendu chez mes parents à Boulogne-Billancourt, la dispute éclate pour de bon.
— Ce n’est pas possible de continuer comme ça ! crie ma mère. Tu dois choisir : soit tu fais comme je te dis, soit tu assumes tes erreurs toute seule !
Françoise se lève brusquement :
— Chez nous, on ne parle pas comme ça à sa fille !
Julien se lève à son tour :
— J’en ai marre de vos histoires ! Élodie et moi on va partir.
Je reste assise, incapable de bouger. Les larmes coulent sur mes joues. Paul se met à pleurer dans son cosy. Je voudrais disparaître.
Cette nuit-là, dans notre petit appartement silencieux, Julien me dit :
— Je crois qu’on devrait faire une pause… Je n’en peux plus.
Il part chez un ami. Je reste seule avec Paul. Pour la première fois depuis longtemps, je ressens un étrange soulagement mêlé à une peur panique. Et si tout était de ma faute ? Et si je n’étais pas faite pour cette vie ?
Les jours suivants sont difficiles mais étrangement calmes. Plus personne ne vient sonner à la porte. Je découvre que je peux gérer Paul toute seule. Je commence à sortir avec lui au parc Monceau, à rencontrer d’autres mamans qui me racontent leurs galères et leurs doutes.
Un matin pluvieux de novembre, alors que je donne le biberon à Paul en écoutant la pluie tambouriner sur les vitres, ma mère m’appelle.
— Élodie… Je suis désolée si j’ai été trop dure avec toi. Tu sais… j’ai eu peur pour toi. J’ai voulu t’aider mais… j’ai oublié que tu étais adulte maintenant.
Je pleure en silence. Pour la première fois depuis des mois, je sens que quelque chose se fissure dans cette carapace de devoir et d’attentes familiales.
Julien revient quelques jours plus tard. Il s’excuse lui aussi :
— J’ai été lâche… J’aurais dû te soutenir au lieu de fuir.
Nous décidons d’aller voir une conseillère conjugale. Petit à petit, nous apprenons à parler sans hurler ni accuser l’autre. Nos deux mères acceptent enfin de prendre du recul — non sans rechigner — et je commence à poser mes propres limites.
Aujourd’hui encore, rien n’est parfait. Les tensions existent toujours mais j’ai appris à dire non. À écouter ma propre voix au milieu du vacarme familial.
Parfois je me demande : combien d’entre nous vivent ainsi déchirées entre amour et devoir ? Combien osent enfin s’écouter ? Et vous… avez-vous déjà eu l’impression de vous perdre pour satisfaire tout le monde ?