« Maman, tu n’auras que des cadeaux d’anniversaire » : l’histoire d’une fille élevée sans amour maternel
« Tu sais, maman, tu n’auras droit qu’à un cadeau d’anniversaire de ma part. Rien de plus. »
Ma voix tremblait à peine, mais mes mains étaient moites. Dans la cuisine carrelée de notre appartement lyonnais, ma mère s’est figée, la tasse de café suspendue entre la table et ses lèvres. Elle m’a regardée comme si je venais de lui annoncer la fin du monde. Pourtant, ce n’était qu’une vérité simple, froide, que j’aurais dû lui dire depuis longtemps.
Je m’appelle Camille. J’ai vingt-sept ans et je viens de prononcer la phrase qui allait fissurer le peu qu’il restait de notre relation. Depuis mon enfance, je n’ai jamais su ce que voulait dire « maman ». Chez nous, on ne parlait pas d’amour, ni de câlins, ni même de responsabilité. Ma mère, Claire, était une femme pressée, toujours en tailleur, le portable greffé à l’oreille. Elle m’a confiée à mes grands-parents dès ma naissance. « Ils ont plus d’expérience », disait-elle. Puis, quand ils sont tombés malades, elle a engagé une nounou, Nadine, qui m’a appris à faire mes lacets et à préparer des tartines. Ensuite, ce fut la crèche municipale du quartier Croix-Rousse.
Je me souviens d’un matin d’hiver où j’avais six ans. Je pleurais parce que j’avais perdu mon doudou. Nadine m’a serrée contre elle et m’a promis qu’on en achèterait un autre. Ma mère, elle, n’a rien dit. Elle a juste soupiré : « Ce n’est qu’un bout de tissu, Camille. »
Les années ont passé. J’ai appris à ne rien attendre d’elle. À Noël, elle m’offrait des cadeaux choisis par sa secrétaire. À mes anniversaires, elle m’envoyait un texto : « Bon anniversaire ma grande ! » Je faisais semblant de ne pas souffrir. Mais chaque fois que je voyais mes amies embrasser leur mère devant l’école ou partager un goûter le mercredi après-midi, une boule se formait dans ma gorge.
Mon père ? Il était parti avant même ma naissance. Un fantôme dont on ne prononçait jamais le nom.
À l’adolescence, j’ai tenté de provoquer des réactions. Je rentrais tard le soir, je séchais les cours. Un jour, j’ai même été convoquée au commissariat pour avoir volé un paquet de bonbons dans une supérette. Ma mère est venue me chercher sans un mot de reproche ni un geste tendre. Dans la voiture, elle a juste dit : « Tu es grande maintenant. Assume tes choix. »
J’ai compris ce jour-là que je ne compterais jamais pour elle autant que son travail ou ses réunions.
À dix-huit ans, j’ai quitté la maison pour aller à la fac à Grenoble. J’ai coupé les ponts pendant deux ans. Pas un appel, pas une lettre. C’est ma grand-mère qui m’a retrouvée sur Facebook et m’a suppliée de donner des nouvelles à ma mère. J’ai cédé par pitié pour elle.
Aujourd’hui, je vis à Lyon avec mon compagnon, Julien. Nous n’avons pas d’enfants – je n’en veux pas pour l’instant. J’ai peur de ne pas savoir aimer autrement que par l’absence.
La semaine dernière, c’était l’anniversaire de ma mère. Je lui ai offert un foulard en soie – son style – et une carte écrite à la main : « Bon anniversaire maman ». Elle m’a appelée le lendemain :
— Camille… Merci pour le cadeau… Tu viens dîner dimanche ?
J’ai hésité puis accepté. Ce soir-là, autour du gratin dauphinois trop salé qu’elle avait commandé chez le traiteur (elle ne cuisine jamais), j’ai senti monter en moi une colère sourde.
— Dis-moi maman… Tu t’es déjà demandé pourquoi on ne se voit presque jamais ?
Elle a haussé les épaules :
— Tu as ta vie maintenant… Je respecte ça.
— Non maman ! Ce n’est pas ça ! Tu ne t’es jamais souciée de moi ! Tu m’as laissée à tout le monde sauf à toi !
Elle a posé sa fourchette et m’a regardée droit dans les yeux :
— Je t’ai donné ce que j’ai pu… Je n’étais pas faite pour être mère.
Cette phrase a résonné comme un coup de tonnerre dans mon cœur.
— Alors tu comprends pourquoi tu n’auras plus que des cadeaux d’anniversaire ? Parce que c’est tout ce que tu peux attendre de moi désormais.
Un silence glacial s’est installé entre nous.
Depuis ce soir-là, ma mère tente parfois de m’appeler ou m’envoie des messages maladroits : « Comment vas-tu ? », « Besoin de quelque chose ? ». Mais je sens bien que c’est trop tard.
Ma grand-mère me dit souvent : « Elle t’aime à sa façon… » Mais quelle façon ? Peut-on aimer sans jamais le montrer ? Sans jamais prendre ses responsabilités ?
Parfois je me demande si je suis cruelle ou simplement lucide. Est-ce égoïste de vouloir couper les ponts avec une mère qui n’a jamais su être là ? Ou est-ce une forme de survie ?
Et vous… Peut-on vraiment pardonner l’absence d’amour maternel ? Peut-on apprendre à aimer quand on n’a jamais reçu d’amour ?