Sous le lit, la vérité : le secret du Motel des Peupliers

— Tu dors, Camille ?

La voix de Manon tremblait dans l’obscurité. Je fixais le plafond jauni de la chambre 7 du Motel des Peupliers, incapable de fermer l’œil. L’orage grondait dehors, secouant les volets mal ajustés. Je sentais sous mon matelas une irrégularité, comme une bosse dure qui me gênait depuis notre arrivée. J’ai soupiré, repoussant la couverture rêche.

— Non, j’arrête pas de penser à ce truc sous le lit. Tu sens pas ?

Manon a grogné, puis s’est retournée. Mais moi, je ne pouvais pas ignorer cette sensation. J’ai allumé la lampe de chevet, sa lumière blafarde découpant des ombres inquiétantes sur les murs défraîchis. Je me suis penchée, le cœur battant, et j’ai passé la main sous le sommier. Mes doigts ont heurté du métal froid.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Attends… Il y a une sorte de poignée.

J’ai tiré. Un grincement sinistre a déchiré le silence : une trappe venait de s’ouvrir sous le lit. Manon s’est redressée d’un bond.

— T’es folle ! Arrête !

Mais la curiosité était plus forte que la peur. J’ai braqué la lampe de poche de mon téléphone dans l’ouverture. Un escalier étroit descendait dans l’obscurité. L’air qui remontait sentait la terre humide et quelque chose d’indéfinissable… comme un parfum d’enfance oubliée.

— On descend ?

Manon a blêmi.

— Tu veux mourir ou quoi ?

Mais je savais déjà que je n’aurais pas la paix tant que je n’aurais pas vu ce qu’il y avait là-dessous. J’ai posé un pied sur la première marche, puis l’autre. Manon m’a suivie à contrecœur.

En bas, la lumière a révélé une petite pièce voûtée, tapissée de journaux jaunis et de photos anciennes. Sur une table en bois, des carnets couverts d’une écriture nerveuse s’empilaient. Au mur, un portrait en noir et blanc : une femme aux yeux clairs, le regard triste. J’ai reconnu le visage — c’était celui de ma grand-mère, Louise, morte avant ma naissance.

— C’est quoi ce délire ?

Manon tremblait. Moi, je sentais mes jambes flancher.

J’ai ouvert un carnet au hasard. Les mots sautaient à mes yeux :

« 12 juin 1978 : Ils ne doivent jamais savoir ce que j’ai vu cette nuit-là… »

Le reste était illisible, raturé à l’encre noire. Mais partout revenaient les mêmes noms : Louise, Henri (mon grand-père), et… Lucien, le maire du village à l’époque.

Soudain, un bruit sourd a résonné au-dessus de nos têtes. Quelqu’un venait d’entrer dans notre chambre.

— Vite ! Éteins la lumière !

Nous sommes restées tapies dans l’ombre, retenant notre souffle. Des pas lourds ont fait craquer le plancher au-dessus de nous. Puis une voix rauque :

— Je sais que vous êtes là…

C’était la voix du propriétaire du motel, Monsieur Morel, un homme taciturne qui nous avait accueillies sans sourire.

Manon me serrait le bras à m’en faire mal.

— On fait quoi ?

J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai attrapé un carnet avant de remonter discrètement l’escalier. La trappe était entrouverte ; Morel fouillait nos affaires.

— Qu’est-ce que vous faites là ? ai-je lancé d’une voix tremblante.

Il s’est retourné brusquement, les yeux injectés de sang.

— Ce n’est pas un endroit pour les curieuses !

Il a tenté de m’arracher le carnet des mains mais Manon a crié si fort qu’il a reculé d’un pas. Nous avons profité de sa surprise pour filer dans le couloir et sortir sous la pluie battante.

Dehors, haletantes, nous avons couru jusqu’à la voiture. Les phares ont balayé la façade du motel — derrière une fenêtre, j’ai cru voir l’ombre de Morel nous observer.

Sur la route du retour, Manon pleurait en silence. Moi, je relisais les pages du carnet trempé : ma grand-mère y racontait comment elle avait été témoin d’un crime commis par Lucien et couvert par Henri pour protéger leur famille… Un secret qui avait rongé Louise jusqu’à sa mort.

Arrivées chez moi à Limoges, j’ai confronté ma mère avec ce que j’avais découvert. Elle a blêmi en voyant le carnet.

— Tu n’aurais jamais dû aller là-bas…

— Pourquoi personne ne m’a rien dit ?

Elle a détourné les yeux.

— Parce qu’ici, on ne parle pas des choses qui font mal. On les enterre.

Mais moi, je ne pouvais plus me taire. J’ai publié l’histoire sur mon blog, espérant briser le silence pesant qui régnait sur notre famille et sur tout le village.

Les réactions n’ont pas tardé : certains m’ont traitée de menteuse, d’autres m’ont remerciée d’avoir osé dire la vérité. Le maire actuel m’a menacée de poursuites pour diffamation. Ma mère ne me parle plus depuis des semaines.

Parfois, je me demande si j’ai bien fait de réveiller ces fantômes. Mais chaque fois que je ferme les yeux, je revois le regard triste de Louise sur cette vieille photo…

Est-ce qu’on doit vraiment taire les secrets pour protéger ceux qu’on aime ? Ou faut-il tout risquer pour enfin vivre libres ?