Sous l’emprise de Maman : Mon histoire avec Michaël
« Élodie, tu dors encore ? Il faut préparer le petit-déjeuner pour Michaël, sa mère vient d’appeler ! »
Je sursaute, le cœur battant, la voix de Michaël résonne dans l’appartement encore plongé dans la pénombre. Il est à peine sept heures, et déjà, la journée commence sous le signe de l’intrusion. Je me redresse dans le lit, les draps froissés autour de moi, et je le regarde, incrédule. « Tu plaisantes ? »
Il secoue la tête, l’air gêné. « Non… Maman dit qu’il faut que je mange avant d’aller au travail. Elle s’inquiète. »
Voilà des semaines que je vis chez Michaël, dans ce petit appartement du 12ème arrondissement, et chaque matin, c’est la même rengaine. Sa mère, Madame Lefèvre, appelle, donne ses instructions, surveille tout à distance. Au début, j’ai trouvé ça attendrissant : un fils proche de sa mère, c’est rare, non ? Mais très vite, j’ai compris que cette proximité avait des allures de prison.
Je me lève à contrecœur et me dirige vers la cuisine. Je prépare du café, je grille des tartines comme elle le veut – pas trop dorées, surtout pas de beurre salé. Michaël s’assied à table, le regard fuyant. Je sens la colère monter en moi.
« Tu ne trouves pas ça un peu exagéré ? On a trente ans tous les deux… »
Il hausse les épaules. « C’est comme ça depuis toujours. Elle veut juste mon bien. »
Je me retiens de hurler. Depuis que j’ai emménagé ici, je ne suis plus Élodie : je suis devenue la compagne de Michaël aux yeux de sa mère, c’est-à-dire une sorte d’assistante ménagère chargée de veiller à son confort. Elle m’appelle plusieurs fois par jour : « Élodie, tu as pensé à repasser ses chemises ? », « Élodie, il aime son gratin dauphinois sans muscade… »
Un soir, alors que je rentre tard du travail – je suis infirmière à l’hôpital Saint-Antoine – je trouve Madame Lefèvre assise dans notre salon. Elle a un double des clés, bien sûr. Elle a préparé un pot-au-feu pour Michaël et m’accueille d’un sourire pincé.
« Ah, Élodie ! Tu travailles beaucoup… Tu sais, une femme doit être présente pour son homme. »
Je serre les poings. Michaël ne dit rien. Il évite mon regard.
Les semaines passent et la situation empire. Je n’ose plus inviter mes amis – elle trouve toujours une raison pour être là ou pour appeler au moment où nous sommes ensemble. Un samedi matin, alors que je prends enfin un moment pour moi dans la salle de bain, elle débarque sans prévenir.
« Élodie, tu pourrais faire un effort sur ta coiffure… Michaël aime les cheveux attachés. »
Je me regarde dans le miroir : cernes sous les yeux, fatigue accumulée, sourire éteint. Où est passée la jeune femme pleine de vie que j’étais avant ?
Un soir d’automne, après une dispute particulièrement violente avec Michaël – il m’a reproché d’avoir oublié d’acheter ses yaourts préférés – je décide d’appeler ma sœur Camille.
« Tu ne peux pas continuer comme ça, Élo… Tu t’effaces complètement ! Il doit choisir entre toi et sa mère… »
Mais comment demander à quelqu’un de choisir ? Et si c’était moi qui étais trop exigeante ? Après tout, la famille en France, c’est sacré… Mais à quel prix ?
Un dimanche midi, alors que nous sommes invités chez ses parents à Vincennes, tout explose. Madame Lefèvre me lance devant toute la famille :
« Élodie n’est pas faite pour toi, Michaël. Elle ne sait pas prendre soin de toi comme il faut ! »
Le silence tombe. Je sens les larmes monter mais je refuse de pleurer devant eux.
« Je fais ce que je peux… Mais peut-être que ce n’est jamais assez pour vous. »
Michaël ne dit rien. Il baisse la tête.
Sur le chemin du retour, je lui demande :
« Est-ce que tu m’aimes vraiment ou est-ce que tu cherches juste une seconde maman ? »
Il ne répond pas tout de suite. Puis il murmure : « Je ne sais pas… Je n’ai jamais vécu sans elle… »
Cette nuit-là, je dors mal. Je repense à mes parents divorcés, à ma mère qui s’est battue pour son indépendance après des années d’effacement. Est-ce mon destin aussi ?
Quelques jours plus tard, je prends une décision. J’annonce à Michaël que je pars quelques temps chez Camille.
« J’ai besoin de réfléchir… Je ne peux pas vivre dans l’ombre de ta mère toute ma vie. »
Il me regarde avec des yeux d’enfant perdu.
« Mais… qu’est-ce que je vais dire à maman ? »
Je souris tristement.
« Dis-lui simplement la vérité : tu dois apprendre à vivre par toi-même. Et moi aussi. »
En refermant la porte derrière moi ce matin-là, j’ai senti un mélange de tristesse et de soulagement m’envahir. J’ai compris qu’aimer quelqu’un ne suffit pas toujours quand on doit lutter contre des liens familiaux trop puissants.
Est-ce égoïste de vouloir exister pour soi-même ? Peut-on vraiment aimer quelqu’un qui n’a jamais coupé le cordon ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?