Un An Sans Nouvelle, Puis Un Appel : Le Retour Inattendu de Mon Beau-Père et le Secret Qui a Tout Changé

— Tu vas ouvrir ?

La voix de Jessica tremble. Il est 22h, la pluie martèle les volets de notre petit appartement à Nantes. Je regarde l’écran du téléphone fixe : « Gérard ». Un an sans nouvelle. Pas un message, pas un appel pour Noël, ni même pour l’anniversaire de Jessica. Et là, ce nom qui s’affiche, comme une gifle.

Je décroche. « Allô ? »

Un silence. Puis la voix rauque de Gérard : « Julien… Je peux passer ? »

Jessica me fixe, les yeux écarquillés. Je n’ose pas répondre. Gérard insiste : « C’est important. Je suis en bas. »

Je descends. Il est là, sous la pluie, le visage creusé, les cheveux plus gris que dans mes souvenirs. Il serre une valise contre lui. Je sens l’alcool à dix mètres. Il me regarde sans sourire.

— Tu comptes rester planté là ou tu me laisses entrer ?

Je m’efface. Il grimpe l’escalier, chaque marche semble un effort. Jessica attend sur le seuil, les bras croisés.

— Papa…

Il ne répond pas. Il pose sa valise dans l’entrée, s’essuie les pieds machinalement. Le silence est lourd. Je sens la tension entre eux, comme une corde prête à rompre.

— Tu veux du café ?

Il hoche la tête. Je file à la cuisine, laissant Jessica et Gérard seuls dans le salon. J’entends des bribes de conversation : reproches étouffés, excuses murmurées. Je reviens avec trois tasses fumantes.

Gérard s’assoit lourdement.

— Je ne vais pas tourner autour du pot… J’ai besoin d’aide.

Jessica blêmit.

— Encore ? Tu nous as déjà demandé de l’argent l’an dernier !

Il baisse les yeux.

— C’est différent cette fois… J’ai tout perdu. L’appartement à Saint-Herblain, la voiture… Même mon boulot au dépôt.

Je sens la colère monter en moi. Nous vivons à deux dans 38m², on compte chaque centime pour économiser en vue d’un prêt immobilier. Et lui débarque comme ça ?

— Gérard, on n’a pas d’argent à te donner.

Il relève la tête, les yeux humides.

— Ce n’est pas que ça… J’ai besoin d’un toit, juste quelques jours. Le temps de me retourner.

Jessica se lève brusquement.

— Tu nous as laissés tomber ! Tu n’étais même pas là quand maman est tombée malade !

Gérard se lève aussi, vacille.

— Je sais… J’ai merdé. Mais je n’ai plus personne d’autre.

Le silence retombe. Je regarde Jessica : elle tremble de rage et de tristesse mêlées. Moi aussi je suis partagé entre compassion et rancœur.

Les jours passent. Gérard s’installe sur le canapé-lit du salon. Il fume sur le balcon, boit trop de café, tourne en rond toute la journée. Il ne parle presque pas. Parfois je l’entends pleurer la nuit.

Un soir, alors que Jessica est sortie faire des courses, il vient me trouver dans la cuisine.

— Julien… Tu sais pourquoi je suis vraiment là ?

Je le fixe, méfiant.

— Pour demander de l’aide ?

Il secoue la tête.

— Pas seulement… J’ai un cancer. Les médecins m’ont donné six mois.

Je reste sans voix. Il sort une enveloppe froissée de sa poche et me la tend : des analyses médicales, des mots incompréhensibles mais terrifiants.

— Je voulais voir ma fille avant qu’il soit trop tard… Lui demander pardon.

Je sens ma gorge se serrer. Toute ma colère retombe d’un coup, remplacée par une immense tristesse.

Quand Jessica rentre, je lui dis tout. Elle s’effondre en larmes dans mes bras. Cette nuit-là, Gérard vient s’asseoir à côté d’elle sur le canapé.

— Je t’ai déçue toute ta vie… Mais je t’aime, tu sais ?

Jessica ne répond pas tout de suite. Puis elle pose sa tête sur son épaule.

Les semaines suivantes sont étranges : on vit à trois dans notre minuscule appartement, entre rires forcés et silences pesants. Gérard commence un traitement à l’hôpital public de Nantes ; je l’accompagne parfois en bus parce qu’il a trop honte de croiser d’anciens collègues en taxi social.

Petit à petit, Jessica et lui se rapprochent. Ils cuisinent ensemble des plats d’enfance — gratin dauphinois, tarte aux pommes — et rient comme avant. Mais parfois la colère ressurgit : Jessica lui reproche ses absences passées, ses dettes de jeu, son incapacité à être là quand elle avait besoin de lui.

Un soir d’avril, alors que le printemps éclaire enfin notre salon exigu, Gérard nous réunit tous les deux.

— J’ai fait des erreurs… Mais je veux partir en paix avec vous deux. Je n’ai rien à vous laisser sauf mes regrets… et cette vieille montre qui appartenait à mon père.

Il tend la montre à Jessica qui éclate en sanglots.

Gérard s’éteint deux mois plus tard dans une chambre impersonnelle du CHU. Nous sommes là tous les deux jusqu’au bout ; il nous serre la main avant de partir.

Aujourd’hui encore, je repense à cette nuit où tout a basculé. À ce père absent qui a trouvé le courage de revenir pour demander pardon avant qu’il ne soit trop tard.

Est-ce qu’on peut vraiment pardonner à ceux qui nous ont blessés ? Ou bien certaines blessures restent-elles ouvertes pour toujours ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?