Retour à la maison : L’accueil que je n’attendais pas

« Camille ? » Ma voix résonne dans le couloir sombre de son appartement du 11ème arrondissement. Je serre le bouquet de pivoines contre ma poitrine, mon cœur tambourine dans ma poitrine comme lors des nuits d’alerte au camp. J’entends des rires étouffés derrière la porte du salon. Je souris, imaginant déjà sa surprise. Mais ce n’est pas mon prénom que j’entends, c’est celui d’un autre : « Oh Paul, arrête… »

Je reste figé. Mes doigts se crispent sur le papier du fleuriste. J’avance, chaque pas me coûte. La porte s’ouvre brusquement. Camille apparaît, les cheveux en bataille, vêtue d’un t-shirt qui n’est pas le sien. Derrière elle, un homme ajuste nerveusement sa ceinture.

« Julien ?! »

Le bouquet tombe à mes pieds. Le silence s’abat sur la pièce. Je sens mes jambes fléchir, mais je me force à rester debout. Camille balbutie : « Je… je croyais que tu rentrais la semaine prochaine… »

Paul me regarde, coupable, mais ne dit rien. Je voudrais hurler, tout casser, mais je reste là, pétrifié, comme si mon âme avait quitté mon corps. Les souvenirs affluent : nos promenades sur les quais de Seine, les messages d’amour envoyés depuis le désert, ses promesses de m’attendre…

Je tourne les talons sans un mot. Dans la cage d’escalier, l’air me manque. Dehors, la pluie s’est mise à tomber sur Paris. Je marche sans but jusqu’à la place de la République. Les klaxons, les lumières, tout me semble irréel.

Je compose le numéro de ma sœur, Élodie. Elle décroche aussitôt :

— Julien ? Tu es déjà rentré ?
— Oui… Je peux passer chez toi ?

Sa voix se fait douce :
— Bien sûr, viens. Tu veux en parler ?

Je ne réponds pas. Je n’ai plus de mots.

Chez Élodie, l’odeur du gratin dauphinois me ramène à l’enfance. Elle me serre dans ses bras sans poser de questions. Son mari, Laurent, me lance un regard inquiet mais respectueux. Leur fils, Hugo, me saute dans les bras :

— Tonton Juju ! Tu m’as rapporté un cadeau ?

Je souris faiblement et lui tends un petit camion en bois acheté à Bamako.

Le dîner se passe dans un silence étrange. Élodie finit par briser la glace :

— Tu veux qu’on parle de Camille ?

Je secoue la tête. Mais les mots sortent malgré moi :

— Elle m’a trompé… Je l’ai surprise avec un autre.

Laurent serre la mâchoire :

— Ces six mois loin d’elle… Ce n’est pas facile pour personne.

Élodie pose sa main sur la mienne :

— Tu n’as rien fait de mal, Julien.

Mais au fond de moi, je doute. Ai-je été trop absent ? Trop centré sur ma mission ? J’ai tout donné à l’armée, à mon pays… et j’ai perdu celle que j’aimais.

Les jours suivants sont flous. Je dors mal sur le canapé d’Élodie. Ma mère m’appelle tous les soirs :

— Tu dois te relever, mon fils. Viens passer quelques jours à Lyon.

Mais je refuse. Paris est pleine de souvenirs douloureux mais aussi d’espoir.

Un soir, Camille m’envoie un message : « On peut parler ? »

Je la retrouve dans un café du Marais. Elle a les yeux rougis.

— Je suis désolée… Je n’ai pas su gérer ton absence. Paul était là… J’étais seule…

Je la coupe :

— Tu aurais pu me le dire. Pas besoin de me mentir pendant des mois.

Elle pleure en silence. Je réalise que je ne ressens plus que du vide.

En sortant du café, je croise Paul sur le trottoir. Il baisse les yeux.

— Je suis désolé, Julien… Ce n’était pas prévu.

Je lui réponds simplement :

— Rien n’est jamais prévu dans la vie.

Les semaines passent. Je reprends peu à peu goût à la vie grâce à Élodie et Hugo. Un jour, lors d’un repas familial, mon père me dit :

— Tu as vécu l’enfer là-bas et ici aussi… Mais tu es vivant. C’est ça qui compte.

Je commence une thérapie pour gérer mes cauchemars et ma colère. Je rencontre aussi Claire, une collègue d’Élodie, qui a connu une rupture difficile après le départ de son mari pour une mission humanitaire au Liban.

Nous nous comprenons sans parler. Un soir d’été sur les bords du Canal Saint-Martin, elle me confie :

— On ne guérit jamais vraiment des trahisons… Mais on apprend à vivre avec.

Je souris pour la première fois depuis longtemps.

Aujourd’hui encore, il m’arrive de repenser à cette soirée où tout a basculé. Aurais-je pu faire autrement ? L’amour peut-il survivre à l’absence et à la distance ? Ou sommes-nous condamnés à nous perdre quand la vie nous sépare ? Qu’en pensez-vous ?